Réouverture de la communale : la grande inquiétude des maires

Paris, le lundi 4 mai 2020 – La réouverture progressive des établissements scolaires sur tout le territoire à partir du 11 mai pour les écoles maternelles et primaires et dans les départements où la circulation du virus sera jugée faible à partir du 18 mai pour les collèges représente l’une des plus importantes difficultés de la préparation du déconfinement, si ce n’est la plus grande.

Des conditions épidémiologiques défavorables

Si les premières hypothèses concernant le rôle d’abord considéré comme majeur des enfants dans la propagation du virus semblent aujourd’hui revues à la baisse et si en dehors de quelques très rares exceptions les risques pour les plus jeunes sont très faibles, il ne fait cependant guère de doute que l’activité engendrée par la réouverture des établissements scolaires devrait avoir une incidence sur la circulation de SARS-CoV-2.

Aussi, notamment dans les départements où la circulation du virus demeure aujourd’hui importante et les tensions dans les services de réanimation encore fortes, on s’interroge sur le danger d’une reprise trop précipitée de l’école. C’est le premier fondement d’une lettre ouverte adressée hier soir à Emmanuel Macron par 329 maires d’Ile-de-France (dont la maire de Paris, Anne Hidalgo), où les édiles demandent que dans les départements classés « rouge » par le ministère de la Santé, la rentrée soit repoussée.

Précipitation

La situation épidémique n’est pas seule en cause. De nombreux maires, en Ile-de-France mais également sur l’ensemble du territoire, jugent qu’ils n’auront pas eu le 11 mai, le temps suffisant pour mettre en place les mesures indispensables à une rentrée sereine et redoutent de ne pas disposer des moyens nécessaires (gel hydroalcoolique, masques pour les personnels…). « Nous apprenons, dix jours avant la date de réouverture des écoles, qu'il appartiendrait aux maires de décider de la réouverture des écoles, et aux parents de décider du retour vers le chemin des classes de leurs enfants », et « que nous ne saurons que le 7 mai, à la veille d'un week-end de trois jours précédant la rentrée annoncée, si nos départements sont officiellement classés en zone rouge (…). Tout cela ne s'improvise pas du jour au lendemain » écrivent les maires franciliens.

Une tâche immense sur un terrain très mouvant

La tâche à réaliser est en effet immense. Un recensement très précis doit d’abord être mené : des enfants devant être considérés comme prioritaires en raison de leur situation scolaire et de celle de leurs parents, des élèves dont les familles souhaitent un retour à l’école et des personnels dont la situation personnelle (état de santé et situation familiale) leurs permettront d’assurer les cours. Il s’agit ensuite d’établir un état des lieux, école par école, des aménagements à réaliser pour pouvoir appliquer au mieux le saisissant protocole de 63 pages adressé avant le week-end aux mairies et détaillant de façon très précise le respect des mesures de distanciation sociale dans les écoles. Un travail d’avertissement et d’information aux familles doit également être conduit avec une grande rigueur. Il faudra en outre assurer parallèlement la continuité pédagogique pour les enfants qui ne voudraient et ne pourraient pas retourner à l’école. Cette préparation doit par ailleurs être réalisée dans un climat d’incertitudes anxiogènes, alors qu’on ignore quelles dispositions pourraient être prises par le gouvernement d’ici jeudi vis-à-vis des départements classés rouge et même de la France entière.

Quid de la responsabilité des maires ?

Face à cette tâche gargantuesque, certains maires ont déjà choisi de prendre des arrêtés indiquant que leurs écoles ne rouvriraient pas leurs portes le 11 mai et pour certaines pas avant septembre. Ces décisions ont le plus souvent été prises en accord avec les personnels municipaux et éducatifs concernés. D’autres municipalités continuent pour leur part à tenter de faire évoluer la position du gouvernement en Ile de France et ailleurs.

En tout état de cause, les maires s’inquiètent d’une mise en cause de leur responsabilité et souhaitent être protégés. La loi Fauchon du 10 juillet 2000 a créé la notion de « délit non intentionnel » des élus, qui sanctionne notamment les dommages liés à l’absence de mesures qui auraient permis de les éviter. Si certains observateurs considèrent qu’une contamination de Covid-19 dans un établissement municipal et notamment scolaire ne pourrait sans doute pas engager la responsabilité du maire, si ce dernier apporte bien la preuve qu’il a bien fait appliquer les prescriptions en vigueur, d’autres, compte tenu de l’importante fébrilité actuelle, considèrent essentielles des précisions et une protection supplémentaires. Répondant à cette préoccupation, un sénateur centriste (RDSE) a déposé un amendement au projet de loi qui doit être débattu aujourd’hui au Sénat et demain à l’Assemblée nationale concernant la prolongation de l’État d’urgence. Cet amendement vise à éviter que les maires mais aussi tous les acteurs privés ou publics engagés dans le déploiement du déconfinement puissent être poursuivis dans les cas où ils mettront en évidence qu’ils étaient dépourvus des moyens nécessaires devant leur être alloués par l’État pour assurer la sécurité de leurs administrés. Parallèlement 138 députés et 19 sénateurs La République en marche (LRM) ont affirmé dans une tribune publiée par le Journal du dimanche, leur volonté de proposer par voie d’amendement « une adaptation de la législation pour effectivement protéger les maires pénalement, mais aussi toutes les personnes dépositaires d’une mission de service public dans le cadre des opérations de déconfinement, et ce pour une période limitée ». Ces initiatives ne font cependant pas totalement l’unanimité. « Exercer des responsabilités, c’est prendre les risques de la responsabilité », remarque ainsi Rémy Rebeyrotte, député (LRM) de l’Eure cité par Le Monde. « Quand on est maire, on assume ses responsabilités. Nos concitoyens ne comprendraient pas qu’on ait un débat sur une forme d’irresponsabilité entre nous. Après, est-ce qu’il y a des craintes au regard de la crise sanitaire que nous vivons ? La loi peut être l’occasion, si des initiatives parlementaires le permettent, d’apporter des précisions. Nous n’y sommes pas fermés », tranche de son côté le ministre chargé des relations avec les collectivités territoriales, Sébastien Lecornu.

Des tensions multiples

Même si elle devait être réglée, cette question de la responsabilité des maires, ne résoudra pas, loin s’en faut, la complexité de ce déconfinement scolaire. Déjà, des affrontements se devinent. Ainsi, à Paris, après que la mairie a annoncé que la rentrée le 13 ou 14 mai ne concernera sans doute pas plus de 10 % des élèves, avec une priorité aux élèves en difficulté et à ceux dont les deux parents ne peuvent absolument pas télétravailler, le recteur d’Ile-de-France a insisté sur le fait que l’exigence de « mixité scolaire et sociale » ne devait pas être oubliée. Par ailleurs, des préavis de grève pourraient être localement déposés : le premier d’entre eux a ainsi été déclaré dans l’Essonne où les instituteurs sont appelés à ne pas reprendre le chemin de l’école jusqu’au 4 juillet.

Les médecins eux-aussi divisés

Dans ce contexte, la parole des professionnels de santé et des scientifiques se fait plus difficilement audible. Il faut dire qu’elle est elle aussi marquée par des incertitudes et des débats. Ainsi, si certains représentants des professionnels de santé, notamment l’Ordre des médecins et plusieurs syndicats ont considéré prématuré une réouverture des écoles et alors que le Conseil scientifique y semblait également opposé, d’autres sont plus rassurants, tels le Collège de médecine des hôpitaux ou la Société française de pédiatrie considérant même que les enfants atteints de maladie chronique devaient eux aussi pouvoir reprendre le chemin des classes.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (1)

  • Contaminations dans la rue ?

    Le 05 mai 2020

    De la même façon, la responsabilité des maires ne pourra-t-elle pas être engagée, si des personnes fragiles, circulant dans les villages et villes, après le déconfinement, étaient contaminées par les nombreux enfants en "vacances obligatoires", parce que le maire aurait refusé l'ouverture de l'école, exemptant famille et enseignant de l'obligation scolaire et "condamnant" les parents à "libérer" dans les rues des enfants trop longtemps confinés?

    Dr Daniel Aspe

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