
Des conditions épidémiologiques défavorables
Si les premières hypothèses concernant le rôle d’abord
considéré comme majeur des enfants dans la propagation du virus
semblent aujourd’hui revues à la baisse et si en dehors de quelques
très rares exceptions les risques pour les plus jeunes sont très
faibles, il ne fait cependant guère de doute que l’activité
engendrée par la réouverture des établissements scolaires devrait
avoir une incidence sur la circulation de SARS-CoV-2.
Aussi, notamment dans les départements où la circulation du
virus demeure aujourd’hui importante et les tensions dans les
services de réanimation encore fortes, on s’interroge sur le danger
d’une reprise trop précipitée de l’école. C’est le premier
fondement d’une lettre ouverte adressée hier soir à Emmanuel Macron
par 329 maires d’Ile-de-France (dont la maire de Paris, Anne
Hidalgo), où les édiles demandent que dans les départements classés
« rouge » par le ministère de la Santé, la rentrée soit
repoussée.
Précipitation
Une tâche immense sur un terrain très mouvant
La tâche à réaliser est en effet immense. Un recensement très
précis doit d’abord être mené : des enfants devant être considérés
comme prioritaires en raison de leur situation scolaire et de celle
de leurs parents, des élèves dont les familles souhaitent un retour
à l’école et des personnels dont la situation personnelle (état de
santé et situation familiale) leurs permettront d’assurer les
cours. Il s’agit ensuite d’établir un état des lieux, école par
école, des aménagements à réaliser pour pouvoir appliquer au mieux
le saisissant protocole de 63 pages adressé avant le week-end aux
mairies et détaillant de façon très précise le respect des mesures
de distanciation sociale dans les écoles. Un travail
d’avertissement et d’information aux familles doit également être
conduit avec une grande rigueur. Il faudra en outre assurer
parallèlement la continuité pédagogique pour les enfants qui ne
voudraient et ne pourraient pas retourner à l’école. Cette
préparation doit par ailleurs être réalisée dans un climat
d’incertitudes anxiogènes, alors qu’on ignore quelles dispositions
pourraient être prises par le gouvernement d’ici jeudi vis-à-vis
des départements classés rouge et même de la France
entière.
Quid de la responsabilité des maires ?
Face à cette tâche gargantuesque, certains maires ont déjà
choisi de prendre des arrêtés indiquant que leurs écoles ne
rouvriraient pas leurs portes le 11 mai et pour certaines pas avant
septembre. Ces décisions ont le plus souvent été prises en accord
avec les personnels municipaux et éducatifs concernés. D’autres
municipalités continuent pour leur part à tenter de faire évoluer
la position du gouvernement en Ile de France et
ailleurs.
En tout état de cause, les maires s’inquiètent d’une mise en
cause de leur responsabilité et souhaitent être protégés. La loi
Fauchon du 10 juillet 2000 a créé la notion de « délit non
intentionnel » des élus, qui sanctionne notamment les dommages
liés à l’absence de mesures qui auraient permis de les éviter. Si
certains observateurs considèrent qu’une contamination de Covid-19
dans un établissement municipal et notamment scolaire ne pourrait
sans doute pas engager la responsabilité du maire, si ce dernier
apporte bien la preuve qu’il a bien fait appliquer les
prescriptions en vigueur, d’autres, compte tenu de l’importante
fébrilité actuelle, considèrent essentielles des précisions et une
protection supplémentaires. Répondant à cette préoccupation, un
sénateur centriste (RDSE) a déposé un amendement au projet de loi
qui doit être débattu aujourd’hui au Sénat et demain à l’Assemblée
nationale concernant la prolongation de l’État d’urgence. Cet
amendement vise à éviter que les maires mais aussi tous les acteurs
privés ou publics engagés dans le déploiement du déconfinement
puissent être poursuivis dans les cas où ils mettront en évidence
qu’ils étaient dépourvus des moyens nécessaires devant leur être
alloués par l’État pour assurer la sécurité de leurs administrés.
Parallèlement 138 députés et 19 sénateurs La République en marche
(LRM) ont affirmé dans une tribune publiée par le Journal du
dimanche, leur volonté de proposer par voie d’amendement « une
adaptation de la législation pour effectivement protéger les maires
pénalement, mais aussi toutes les personnes dépositaires d’une
mission de service public dans le cadre des opérations de
déconfinement, et ce pour une période limitée ». Ces
initiatives ne font cependant pas totalement l’unanimité. «
Exercer des responsabilités, c’est prendre les risques de la
responsabilité », remarque ainsi Rémy Rebeyrotte, député (LRM)
de l’Eure cité par Le Monde. « Quand on est maire, on
assume ses responsabilités. Nos concitoyens ne comprendraient pas
qu’on ait un débat sur une forme d’irresponsabilité entre nous.
Après, est-ce qu’il y a des craintes au regard de la crise
sanitaire que nous vivons ? La loi peut être l’occasion, si des
initiatives parlementaires le permettent, d’apporter des
précisions. Nous n’y sommes pas fermés », tranche de son côté
le ministre chargé des relations avec les collectivités
territoriales, Sébastien Lecornu.
Des tensions multiples
Même si elle devait être réglée, cette question de la
responsabilité des maires, ne résoudra pas, loin s’en faut, la
complexité de ce déconfinement scolaire. Déjà, des affrontements se
devinent. Ainsi, à Paris, après que la mairie a annoncé que la
rentrée le 13 ou 14 mai ne concernera sans doute pas plus de 10 %
des élèves, avec une priorité aux élèves en difficulté et à ceux
dont les deux parents ne peuvent absolument pas télétravailler, le
recteur d’Ile-de-France a insisté sur le fait que l’exigence de «
mixité scolaire et sociale » ne devait pas être oubliée. Par
ailleurs, des préavis de grève pourraient être localement déposés :
le premier d’entre eux a ainsi été déclaré dans l’Essonne où les
instituteurs sont appelés à ne pas reprendre le chemin de l’école
jusqu’au 4 juillet.
Les médecins eux-aussi divisés
Aurélie Haroche