Vaccination : une stratégie en cinq phases à multiples inconnues
Paris, le lundi 30 novembre 2020 – Bien que les sondages successifs
signalent que l’adhésion des Français à la vaccination contre la
Covid-19 pourrait être de plus limitée, l’impatience est cependant
parallèlement également forte. Dans ce contexte et une semaine
après les annonces du Président de la République quant à la
possible initiation d’une campagne de vaccination dès la fin du
mois de décembre, la Haute autorité de Santé a actualisé son avis
dédié à la stratégie de priorisation vaccinale contre la
Covid-19.
Éviter les formes graves et permettre aux activités
essentielles de perdurer mais pas contrôler l’épidémie
Cette stratégie a été élaborée alors que les incertitudes sont
encore très nombreuses, concernant notamment (mais pas seulement)
la date de mise à disposition des vaccins et le nombre de doses
dont bénéficiera la France dans un premier temps, le type de
produits qui sera préalablement disponible et le type de protection
conférée. Le plan dessiné par la HAS essaie tout à la fois
d’intégrer ces inconnues multiples et en même temps reconnaît qu’il
pourrait être amendé et en tout cas évoluer en fonction des
avancées des connaissances et des nouvelles étapes d’autorisation,
de commercialisation et de fabrication. Ainsi, les recommandations
dévoilées ce matin par la HAS sont guidées par l’idée que compte
tenu du manque de données concernant la capacité des vaccins à
éviter la transmission de SARS-CoV-2 et alors que dans les premiers
temps le nombre de doses disponibles sera restreint, l’objectif
premier de la vaccination doit d’abord être la protection
individuelle : éviter les formes graves et a fortiori mortelles de
Covid-19. « Les premiers objectifs du programme de vaccination
contre le Sars-Cov-2 seront de réduire la morbi-mortalité
attribuable à la maladie (hospitalisations, admissions en soins
intensifs et décès) et de maintenir les activités essentielles du
pays, particulièrement celles du système de santé pendant
l’épidémie. Pour que la stratégie vaccinale vise le contrôle de
l’épidémie, il est nécessaire d’attendre que les études établissent
la preuve que les vaccins ont une efficacité possible sur la
transmission du virus et que la disponibilité des vaccins soit
suffisante » complète la HAS. Dès lors, les critères de
priorisation sont le risque de développer une forme grave de
Covid-19 et le risque d’exposition au virus. Pour déterminer le
degré de réponse à ces critères des différentes catégories de
population, la HAS s’est appuyée sur l’abondante littérature
scientifique disponible.
L’application de ces critères associée au contexte de mise à
disposition des vaccins à des dates encore indéterminées a abouti à
une stratégie en cinq phases (avec en leur sein des
sous-priorisations). « C’est une stratégie en cercles
concentriques, qui pourrait être accélérée en fonction de la
disponibilité des vaccins » explique le Professeur Dominique Le
Guludec, présidente de la HAS.
Première phase, les EHPAD et les soignants à risque travaillant
auprès des plus vulnérables
La première phase concerne les personnes les plus à risque de
mortalité en raison de leur âge élevé, de leur vulnérabilité et de
leur vie en collectivité : « résidents d’établissements
accueillant des personnes âgées et résidents en services de longs
séjours (USLD …) », soit 750 000 personnes environ.
Cette première phase comprend également les « professionnels
exerçant dans les établissements accueillant des personnes âgées
(…) présentant eux-mêmes un risque accru de forme grave/de décès
(plus de 65 ans et/ou présence de comorbidité(s) », soit
environ 90 000 personnes selon les estimations de la HAS. Cette
phase est extrêmement resserrée pour tenir compte de la probable
disponibilité restreinte des vaccins.
Phase 2 : vacciner les plus de 65 ans en priorisant
ceux présentant des comorbidités
La seconde phase débutera avec l’augmentation du nombre de
doses accessibles en France et dès lors qu’un grand nombre des
personnes prioritaires de la première phase qui souhaitaient être
vaccinées auront été protégées. La succession des phases doit
s’entendre de manière souple : « elles s’interpénétreront »
ont indiqué ce matin Dominique Le Gudulec et le Pr Elisabeth Bouvet
responsable de la Commission technique des vaccinations. La phase 2
est toujours mue par l’objectif d’une protection individuelle et de
la continuité des activités essentielles du pays.
Première priorité de cette deuxième étape : les sujets de plus
de 75 ans (en commençant par les plus âgés et ceux présentant des
comorbidités), soit 6,4 millions de personnes.
Seconde priorité toujours dans cette seconde phase : les
personnes âgées de 65 à 74 ans, avec encore une fois une priorité
donnée à celles connaissant des comorbidités associées à un risque
accru de forme grave (en cas de doses encore trop rares) ; soit au
total 7,3 million de personnes, dont 3 millions atteints d’une
comorbidité.
Enfin, dans cette phase 2, la priorité 3 sera donnée aux
professionnels de santé de plus de 50 ans et/ou souffrant d’une
comorbidité, quel que soit leur mode d’exercice, soit 1,2 millions
de personnes.
On le devine la multiplication de ces ordres de priorité et des
critères nécessitera une organisation particulièrement drastique,
afin d’éviter les confusions et contestations.
Phase 3 : sujets à risque (en raison de leur âge ou de leurs
comorbidités) non encore vaccinés
La phase 3 est charnière mais s’inscrit toujours dans une stratégie
vaccinale visant l’évitement des formes graves et mortelles et le
maintien des activités essentielles du pays. C’est essentiellement
une phase de rattrapage puisqu’elle prévoit :
la vaccination des personnes à risque en raison de leur âge
(50-65 ans) ou de leurs comorbidités qui n’auront pas été vaccinées
auparavant,
ainsi que les professionnels ciblés dans les précédentes phases
non vaccinés.
S’y ajoutent les « Opérateurs essentiels et professionnels des
secteurs essentiels en charge de l’éducation en contact étroit avec
du public ou encore les opérateurs essentiels indispensables aux
activités économiques du pays » ; catégories qui devront être
définies par le gouvernement, ce qui explique que le nombre total
de personnes concernées par cette troisième phase ne puisse pas
être très strictement défini.
Phase 4 : les personnes vulnérables
Les deux dernières phases se projettent dans une optique
différente où la vaccination sera plus certainement envisagée comme
un outil de contrôle de l’épidémie ; ce qui suppose cependant que
des données plus complètes soient disponibles sur la capacité des
vaccins à éviter la transmission de SARS-CoV-2 (ce qui n’est pas le
cas aujourd’hui). Compte tenu du nombre de personnes ciblées
auparavant, il est probable que ces phases 4 et 5 n’interviennent
pas avant la fin du printemps, ce qui permet donc raisonnablement
de penser disponibles les informations nécessaires.
La phase 4 vise les personnes vulnérables et précaires et
celles vivant en collectivité (prisons, établissements
psychiatriques, foyers…) non vaccinées auparavant,
ainsi que les professionnels les prenant en charge.
La phase 4 concerne également les « Personnes vivant dans
des hébergements confinés ou encore travaillant dans des lieux clos
favorisant l’acquisition de l’infection (ouvriers du bâtiments,
abattoirs, etc) non vaccinés antérieurement ».
La quantification est ici encore complexe à réaliser
puisqu’elle dépend en grande partie des premières
phases.
Phase 5 : un tiers de la population sans comorbidité…
mais pas les enfants !
Enfin, la phase 5 prévoit la vaccination du reste de la
population ; soit potentiellement autour de 24 millions de
personnes (sujets de 18 à 49 ans sans comorbidités). Un point
majeur est à noter, quelles que soient leurs éventuelles
comorbidités, les moins de 18 ans, non inclus dans les essais
cliniques pour l’heure, ne sont pas compris dans cette
stratégie.
Les médecins généralistes écartés de la phase 1 ?
La complexité de cette priorisation, qui paraît le fruit d’une
réflexion fine, ne permet cependant pas d’échapper à de multiples
interrogations. Dominique Le Guludec et Elisabeth Bouvet ont
notamment été interrogées à plusieurs reprises sur la pertinence
d’écarter les médecins généralistes libéraux de la première phase
alors d’une part qu’ils sont en « première ligne » quant à
la prise en charge des patients atteints de Covid-19 et d’autre
part que les données de la première vague paraissent suggérer une
mortalité élevée dans leurs rangs.
Répondant à ces remarques, Elisabeth Bouvet a fait observer que
cette mortalité était en partie liée aux défauts de protection au
début de l’épidémie et de leur âge élevé (âge qui leur permet
d’être prioritairement ciblés par les recommandations vaccinales).
D’autre part, les généralistes libéraux présentant des facteurs de
risque et travaillant en EHPAD pourront être immédiatement
éligibles à la vaccination. Des réponses qui on le devine ne
satisferont pas tous les omnipraticiens.
Élaborer une stratégie à l’aveugle
Outre la pertinence de la priorisation, de nombreuses autres
questions demeurent, liées notamment à la connaissance très
incomplète des vaccins qui seront disponibles (en serait-ce qu’en
raison de l’absence pour l’instant de publication scientifique sur
les phases 3 des premiers vaccins). L’un des points majeurs à
élucider est notamment l’attitude à adopter face aux personnes
ayant été infectées par SARS-CoV-2. A cet égard, Dominique Le
Guludec et Elisabeth Bouvet insistent sur la nécessité de disposer
de données plus complètes, d’une part sur les vaccins et d’autre
part sur les caractéristiques de l’immunité des personnes ayant été
infectées par le virus, qui pourraient notamment varier en fonction
du degré de leur atteinte clinique. Cependant, elles notent que les
premières informations suggèrent qu’il n’existerait pas de risque
de vacciner les personnes ayant déjà été contact avec le
virus.
Au-delà, les inconnues listées par la HAS sont multiples et
concernent en particulier « l'immunogénicité et l'efficacité des
vaccins dans les différents groupes d'âge et groupes à risque ; la
sécurité des vaccins dans les différents groupes d'âge et groupes à
risque et leur durée de protection ». Il apparaît également que
la complexité de l’application de cette stratégie pourrait être
accrue par la diversité des vaccins à venir et que la doctrine
visant à utiliser les vaccins par ordre de mise à disposition ne
pourra sans doute pas être pérenne (notamment si des différences
certaines existent dans la protection conférée par tel ou tel
produit pour telle ou telle catégorie de la population). Ce plan en
outre ne concerne que la priorisation des personnes à vacciner et
ne dit rien de l’organisation de la campagne de vaccination. Sur ce
point, les réflexions se poursuivent et sont là encore freinées par
les inconnues quant aux conditions de conservation et de
distribution des premiers vaccins. Cependant, Elisabeth Bouvet et
Dominique Le Guludec ont indiqué que la HAS était favorable à «
l’intervention des pharmaciens et des infirmiers » dans le
processus de vaccination mais sans pouvoir se montrer plus
concrètes.
Obligation : ne pas s’interdire la possibilité d’un
débat
Nécessairement incomplète, cette stratégie veut cependant
témoigner de la volonté de transparence de la HAS, transparence
dont Elisabeth Bouvet est convaincue qu’elle est l’une des clés
pour obtenir une large adhésion de la population. Sur ce point, si
elle reconnait que les informations récemment diffusées sont
inquiétantes (dont hier encore un sondage réalisé pour le Journal
du Dimanche indiquant que 59 % des Français n’ont pas l’intention
de se faire vacciner lors de la mise à disposition des premiers
vaccins), elle invite également à ne pas trop rapidement prédire
l’échec. Par ailleurs, tout en répétant que la HAS s’est
positionnée pour l’heure en défaveur de l’obligation, elle estime
qu’il ne faut pas s’interdire la possibilité de rouvrir le
débat.
En tout état de cause, il est certain que la confiance des
Français dans leurs institutions sera déterminante et sur ce point,
l’enquête réalisée par l’IFOP pour le JDD révèle une légère et
inattendue amélioration avec 42 % de nos compatriotes estimant le
gouvernement capable de gérer la crise contre 39 % quinze jours
auparavant.
Espérons que l’on y voit plus clair quand on pourra prendre
connaissance des résultats complets des phases 3, des AMM des
premiers vaccins et de l’organisation matérielle de la campagne.
Il faut reconnaître à ces propositions une cohérence sur le plan scientifique, un réalisme sur la question des moyens, et une habilité quant à la communication. Seule la première phase fait l’objet des observations qui suivent.
Un peu moins d’un million de personnes particulièrement vulnérables sont concernées par cette phase 1 : essentiellement les pensionnaires des établissements d’hébergement des personnes âgées dépendantes [EHPAD] et les professionnels de santé - eux-mêmes à risque - et en contact régulier avec ces personnes vulnérables. La cohérence ici est bien présente : - cohérence scientifique car la balance risque – avantage est très favorable pour les personnes très âgées ; - réalisme, car il est facile de vacciner une population réduite concentrée dans les EHPAD ; - habileté, puisque l’image est belle, le consentement quasiment acquis de fait, et l’espérance de vie limitée.
On comprend aisément qu’il eut été plus difficile de demander à l’ensemble des personnels soignants de se faire volontairement vacciner, avec une cohérence alors bien moindre. Il n’y aurait eu avec cette option guère d’avantages : - ni scientifiques, en l’absence d’importants facteurs de risque (peu de soignants actifs souffrent d’un âge avancé ou de maladies sévères) ; - ni réalistes, puisque ce secteur a déjà du mal à dépasser 50% de respect de la vaccination antigrippale avec un produit pourtant éprouvé ; - ni habiles, car tout refus, notamment des médecins d’un secteur particulièrement « informé » aurait contribué à renforcer la méfiance d’une population déjà réservée en partie.
Faute de certitude d’un volontarisme exemplaire des médecins, on réalise en fait un test expérimental sur la population la plus vulnérable et la plus aisée à contrôler, correspondant aussi, heureux hasard, à la quantité de vaccins qui sera probablement disponible au début de l’année 2021. C’est extrêmement intelligent, il ne faut pas le nier, mais cela méritera d’être annoncé peut-être plus clairement, les Français et les Françaises étant capables de le comprendre… En cas de réussite, cela n’aura rien coûté, bien au contraire, et en cas d’échec ou de complication personne ne sera désagréablement surpris.
On espère que cette phase 1 sera transparente, avec une communication des données précise et exhaustive. Elle devra être plus complète, mais peut-être moins fréquente, en comparaison de celle qui avait été faite journellement pour bien faire comprendre l’intérêt d’un confinement. La HAS le recommande, le gouvernement devrait donc le faire. Ainsi l’adhésion des personnels de santé faisant partie des cibles définies par la HAS pour la phase 2 – seulement s’ils ont âgés de plus de 50 ans ou présentent des facteurs de risque - n’en sera que renforcée…