
La réussite des stratégies de sevrage tabagique (ST) est un des éléments importants permettant la réduction de la consommation de tabac dans la population, aux niveaux individuel et collectif. Cependant, la fourniture d'une aide globale au ST peut constituer un défi pour de nombreux pays, car elle nécessite des ressources importantes, humaines, matérielles et financières. L'un des moyens d'élargir l'accès est d'utiliser des technologies mobiles (téléphones portables, services de messageries et autres applications) pour fournir une aide au ST ; de nombreuses études ont déjà montré que l’utilisation de téléphones portables pouvait être utile et efficace pour obtenir le ST [1].
Un premier essai clinique randomisé mené par la « London School of Hygiene and Tropical Medicine » en 2011 avait montré que le taux d’abstinence tabagique continue, vérifiée, à 6 mois était significativement plus élevé dans un groupe recevant un soutien par message texte que dans un groupe contrôle ne recevant pas ce soutien (10,7 % contre 4,9 %) [2]. Un autre essai contrôlé randomisé avait évalué l'effet des messages envoyés par l'intermédiaire de la plateforme WhatsApp ; elle avait montré que l'utilisation de messages WhatsApp sur une période de 6 mois multipliait par 2le taux d'abstinence (Odds Ratio OR, 2,31 ; intervalle de confiance à 95 % IC95, 1,03-5,16) [3]. Une autre étude avait montré que l’envoi de messages par SMS et/ou par courrier électronique pouvait faciliter aussi le ST au niveau de la population [4].
Ainsi l'omniprésence des téléphones portables permet d'apporter une aide efficace et immédiate, ce qui accroît l’accès des populations, avec un coût modéré, aux informations facilitant le ST.
Toutes ces études s’appuyaient sur des messages globaux classiques pour inciter la population à arrêter de fumer, informations déjà diffusées par les médias (effets sur la santé, exposition au tabagisme passif, manipulation par les industriel du tabac, le coût d’achat du tabac….) [5].
Des messages adaptés au niveau de motivation
Des chercheurs chinois (Institute for Global Health and Development, Peking University, Pékin, Chine) ont eu une nouvelle approche, celle de « messages individuels personnalisés ». L’étude publiée le 1er mars 2023 (JAMA Network open) avait pour objectif de mesurer l’efficacité d’une intervention de ST en utilisant des messages textuels personnalisés [6]. Nous en rapportons les principaux résultats.
L’étude a été menée dans 5 villes chinoises dans le cadre d'un essai clinique randomisé en double aveugle. Ont été inclus des fumeurs quotidiens ou hebdomadaires âgés de 18 ans ou plus qui possédaient un téléphone portable et utilisaient l'application chinoise de médias sociaux WeChat. Les participants ont été répartis de manière aléatoire dans le groupe d’intervention (messages personnalisés, individuels) ou le groupe témoin (messages non personnalisés), entre le 1er avril et le 27 juillet 2021. Tous les participants ont été informés que le huitième jour après la randomisation serait leur jour d’arrêt tabac.
L'intention des fumeurs d'essayer d'arrêter de fumer au cours des six mois suivants avait été évaluée à l'aide de l'application sur une échelle de 5 points, 1 indiquant qu'il n'est pas du tout probable qu'ils essaient d'arrêter de fumer et 5 indiquant qu'il est très probable qu'ils essaient d'arrêter de fumer ; un score de 1 à 3 points était considéré comme une faible intention d'arrêter de fumer et un score de 4 à 5 points comme une forte intention d'arrêter de fumer.
Les deux groupes ont reçu 1 à 2 messages textuels par jour pendant 3 mois par l'intermédiaire de l’application WeChat.
WeChat contre SMS du NCI
Les participants du groupe d'intervention ont reçu des messages textes personnalisés fondé sur le modèle transthéorique et la théorie de la motivation de protection développé par les chercheurs de cette étude [7]. La banque de messages textuels avait été créée à partir de messages élaborés par l'École de santé publique de l'université de Pékin, avec la participation de fumeurs et de professionnels du ST. Ces messages étaient adaptés au score d’intention d’arrêter de fumer et à chaque période vers le ST initialement définie (messages envoyésavant le sevrage programmé, un message de pré-arrêt, un message de jour d'arrêt, un message de gestion des symptômes de sevrage, un message d'arrêt précoce et un message de fin de période)[6, 7]. A titre d’exemple, le jour précédant l’arrêt tabac, des messages relatifs à la prise de conscience, au soulagement lié au ST et l’impact sur l’environnement personnel ont été transmis aux fumeurs dont l'intention d'arrêter de fumer était faible.
Les participants du groupe témoin ont reçu une intervention non personnalisée d'aide au ST par SMS développée par l'Institut national du cancer des États-Unis (NCI). L'intervention du NCI était fondée sur des approches cognitivo-comportementales bien établies en matière de sevrage tabagique et contenait 91 messages ; les messages textuels contenaient des encouragements, des conseils pratiques pour aider à maintenir l'arrêt du tabac et des informations sur les effets du tabagisme sur la santé.
Tous les sujets inclus dans les deux groupes ont été invités à participer à des visites de suivi avec le personnel de recherche, 1 mois, 3 mois et 6 mois après la randomisation. Toutes ces visites comprenaient le test de vérification biochimique et des questionnaires. Elles ont été effectuées par des membres du personnel du centre local de contrôle et de prévention des maladies et de l'université de Pékin. La plupart des réunions ont eu lieu dans des salles du centre de contrôle et de prévention des maladies, mais certains membres du personnel ont rencontré les participants à leur domicile ou à tout autre endroit qui leur convenait.
Le résultat principal était le taux d'abstinence durable à 6 mois défini comme le fait de ne pas fumer de cigarettes après la date d'arrêt désignée, validé biochimiquement par un taux de monoxyde de carbone dans l'air expiré inférieur à 6 ppm à chaque point de suivi (les tests de monoxyde de carbone dans l'air expiré avec un seuil de 6 ppm ont une sensibilité de 97 % et une spécificité de 70 % dans des environnements normaux [8]).
Taux d’abstinence deux fois plus élevé dans le groupe d’intervention
Au total, 722 participants fumeurs d'âge moyen égal à41,5 ans ont été inclus ; 99,2 % (716) était des hommes, tous d'origine chinoise. Les sujets ont été assignés au hasard au groupe d'intervention (360 participants) ou au groupe témoin (362 participants).
Le taux d’abstinence continue, vérifiée à 6 mois, était plus de 2 fois élevé dans le groupe d’intervention (6,9 %) que dans le groupe témoin (3,0 %) (odds ratio [OR], 2,66 ; IC95, 1,21- 5,83). L'intervention par message personnalisée s'est avérée plus efficace chez les fumeurs faiblement dépendants de la nicotine et ayant une forte intention d'arrêter de fumer.
Les auteurs notent que ce taux d'abstinence durable à 6 mois était relativement faible (6,9 % dans le groupe d'intervention) par rapport à celui obtenu dans des études conduites dans les pays occidentaux. Par exemple, une étude britannique avait montré que le taux d'abstinence continue à 6 mois, vérifié aussi biochimiquement, était de 10,7 %. Une explication possible donnée par les auteurs de la divergence avec leurs résultats est que l'environnement social en Chine peut avoir une influence négative sur l'arrêt du tabac ; en effet le tabagisme n'est pas seulement une habitude, mais fait partie de la culture traditionnelle et de l'interaction sociale en Chine.
Dans cet essai clinique randomisé portant sur 722 fumeurs en Chine, les participants ayant bénéficié d'une intervention de sevrage tabagique basée sur la théorie du changement de comportement et utilisant des messages textuels personnalisés avaient un taux d'abandon du tabac à 6 mois deux fois supérieur à celui des participants ayant bénéficié d'une intervention utilisant des messages textuels non personnalisés, cela à court et à long terme.
Selon les auteurs, « d’autres essais seront nécessaires pour déterminer si nos résultats s'appliquent aux femmes et aux populations plus jeunes. En outre, des études comparant une intervention mobile de sevrage tabagique à une intervention comprenant à la fois des services mobiles de sevrage tabagique et d'autres services de conseil sont nécessaires ».
Pr Dominique Baudon