
Lutter contre la criminalisation de transmission du VIH
Chaque épidémie est l’occasion pour quelques esprits qui pourraient être qualifiés « d’illuminés » de crier à la vengeance divine. Cette pandémie n’a pas fait exception. Cependant, même dans les discours se voulant rationnels, la trace d’une forme de morale religieuse n’a pas toujours été totalement absente. Pourtant, depuis l’épidémie de Sida, nous aurions dû apprendre à nous méfier de l’incursion de la morale pour appréhender les maladies infectieuses. Les associations de lutte contre le Sida se sont en effet toujours battues et continuent à se battre pour que les personne séropositives ne soient pas considérées comme « coupables » de transmettre le VIH, rappelant toujours que c’est à chacun de prendre la responsabilité de sa propre protection. Alors que certaines juridictions ont parfois été tentées de criminaliser la transmission (inconsciente ou consciente), leur combat n’a jamais failli.Face à la Covid : c’est ma faute, c’est ma très grande faute
Concernant la Covid, dont les conditions de transmission sont bien moins faciles à déterminer que celles du Sida (comment être certain que c’est bien en mangeant avec cette amie infectée plutôt que dans le métro bondé que l’on a été contaminé ?), ces précautions sont néanmoins loin d’avoir été prises. Les discours ont ainsi bien plus régulièrement insisté sur le risque de contaminer les autres en allant leur rendre visite, en participant à des fêtes, voire en allant à l’école. Il est ainsi frappant que plutôt que d’insister sur l’importance de se « protéger », les messages se sont plus souvent concentrés sur la nécessité d’éviter de faire courir des risques aux autres, ce qui constitue une dialectique moralisante, très éloignée de celle qui a été adoptée concernant le Sida. En privilégiant cette approche, on a voulu punir « l’individualisme » qui consisterait à privilégier sa propre protection et empêcher, il est vrai, de blâmer celui qui tombe malade, mais sans éviter une culpabilisation généralisée, culpabilisation qui est le ciment de bien des religions.Idéal ascétique
Ainsi, sous-tendant certains des discours liés à l’épidémie, un « idéal » moral a commencé à se dessiner. Or, cet idéal n’a pas manqué d’être marqué par une forme d’ascétisme, qui ne peut que renvoyer à divers préceptes religieux, prompts à sanctionner les désirs et les plaisirs. Dans un texte publié sur le site Up Magazine, le psychiatre Arnaud Plagnol analyse : « Dans sa célèbre Généalogie de la Morale (1887), Nietzsche soupçonnait que des valeurs souterraines sous-tendent l’idéal scientiste et ramenait celui-ci à une forme d’idéal ascétique : sous les belles intentions, il s’agit de supprimer par tous les moyens la souffrance inhérente à la vie, ce qui relève finalement du désir de néant (ou nihilisme), car finalement on en vient à détruire la vie pour supprimer l’angoisse de la souffrance. (…) La pathogénie de l’idéal confiniste n’a en réalité rien d’original : crainte de la souffrance, hantise d’affirmer des choix en fonction des valeurs, déni de la vie, addiction à la moraline, ressentiment contre la jeunesse… Nous sommes bien dans une forme d’idéal ascétique tel que Nietzsche en a dessiné les lignes de force ». Bien sûr, l’éviction des rassemblements est destinée à limiter les dangereuses flambées épidémiques qui mettent à mal le système hospitalier, mais dans la satisfaction exprimée par beaucoup en constatant les conséquences positives de cette situation (diminution de la pollution dans un premier temps, recul massif des autres maladies infectieuses, etc.), on pressent une attirance pour une perpétuation de certaines des contraintes qui nous ont été imposées par ce virus (tel le port du masque, y compris dans des situations où son utilité est nulle ou presque). Ici, le confinement ou les mesures de distanciation pourraient même fonctionner comme un ersatz d’expiation, de la même façon que quelques préconisations dictées par l’urgence climatique apparaissent parfois inspirées par la volonté de « punir » ceux qui ont trop « profité » des ressources de la planète. C’est dans ce contexte, que les appels à la délation et le climat de suspicion systématisé, ciblant ceux qui portent mal leur masque ou continuent à se rencontrer, a pu s’installer sans toujours susciter une claire indignation dans cette société si prompte à chercher des coupables et à désigner les « bons » et les « mauvais ». Et dans cette bataille, le « pragmatisme » a souvent été considéré comme la plus grande des tartufferies.Sacrifice
Témoignant de cette inspiration religieuse et morale sous-jacente, le vocabulaire associé à l’épidémie emprunte régulièrement au registre du religieux ou de la morale et ce quelles que soient les positions défendues par le locuteur. Ainsi, ne cesse-t-on par exemple de s’inquiéter du « sacrifice » de la jeunesse. C’est par exemple le terme régulièrement employé par le journaliste François de Closets et par ceux qui s’opposent très fermement à la fermeture des établissements scolaires. Le terme semble souvent employé à dessein pour fustiger la position supposée dominante des plus âgés, qui exigeraient tel le Dieu d’Abraham, le sacrifice des nouvelles générations pour son salut. Il est également possible d’évoquer l’attente souvent exprimée de la demande de « pardon » des autorités, pour les fautes qu’elles auraient commises, ce qui inscrit encore une fois la crise dans une dimension où il importerait « d’expier » ses fautes.L’Apocalypse, quoi qu’il en coûte
Claudina Michal-Teitelbaum : https://twitter.com/MartinFierro769/status/1383297287812648964
Aurélie Haroche