COVID et santé mentale des jeunes, causalité ou association ?

Parfois très subtile, la distinction conceptuelle entre une association et une relation de causalité s’appuie sur les critères de Hill[1], un ensemble de conditions minimales pour fournir une preuve adéquate d’une relation causale entre deux événements, en référence à l’épidémiologiste et statisticien britannique Bradford Hill (1897-1991), un pionnier des essais cliniques randomisés auquel on doit notamment (avec Richard Doll, Evarts Graham et Ernst Wynder), la démonstration d’un lien étiologique entre tabagisme et cancer du poumon.

Augmentation de la consommation de psychotropes


En référence à un article antérieur de Mette Bliddal (une professeure de médecine au Danemark) & coll.[2], JAMA Psychiatry publie les commentaires de lecteurs et la réponse des auteurs. En résumé, le débat porte sur la question suivante : la pandémie de COVID-19 est-elle associée à une réelle augmentation des troubles psychiatriques chez les jeunes, ou seulement à des changements dans le recours aux médicaments psychotropes ?

Dans leur étude de cohorte basée sur les registres de tous les Danois âgés de 5 à 24 ans et montrant une augmentation de l’utilisation des médicaments psychotropes et de certains troubles psychiatriques entre mars 2020 et juin 2022, Mette Bliddal & coll. estiment que, suite à la pandémie, le nombre de jeunes souffrant de psychopathologie et nécessitant un traitement psychotrope a augmenté, ce qui mérite l’attention des décideurs politiques et des parties prenantes. Ils ont en effet mis en évidence une augmentations des risques relatifs pendant la COVID-19 de 5 % pour les diagnostics psychiatriques et 18 % pour l’usage de médicaments psychotropes.

Quels facteurs causaux ?


Les lecteurs commentant cette étude s’inquiètent du risque de mettre sur le compte de la pandémie une problématique structurelle (l’augmentation de la morbidité psychiatrique des jeunes) peut-être imputable à d’autres facteurs moins conjoncturels que la seule COVID-19 : « Bien que les auteurs veillent à ne pas inférer de causalité, les lecteurs et les décideurs pourraient être tentés de passer d’association à causalité. »

Cette distinction n’a pas seulement un intérêt académique : si la détérioration de la santé mentale des jeunes est liée à la pandémie, le public pourrait s’attendre à une normalisation post-pandémique. Mais si les tendances signalées sont motivées par des facteurs indépendants de la pandémie, cela nécessitera d’autres mesures appropriées.

Dans leur réponse aux lecteurs, Mette Bliddal et coll. rappellent la difficulté d’interpréter ces augmentations observées des psychopathologies : « Même en les supposant liées à des événements distincts (de la pandémie), nous n’attendions pas d’effets immédiats. Le développement de la psychopathologie n’est pas aigu, mais émerge plutôt après une phase de détérioration pouvant conduire à une orientation en psychiatrie », même avant une certitude diagnostique ou l’initiation d’un traitement psychotrope.

Cette évolution peut d’ailleurs survenir avec un retard considérable par rapport à un événement déclencheur comme la pandémie. Mette Bliddal et coll. estiment que l’incidence stressante d’événements comme les restrictions de mobilité sociale ou les fermetures d’écoles est peu susceptible de se manifester immédiatement, mais s’accumule plutôt au long cours. Au total, les auteurs écartent l’argument selon lequel l’absence d’effets immédiats contredit le fait que l’augmentation pourrait être liée à la pandémie de COVID-19. Au contraire, l’inclusion d’un suivi jusqu'à l’été 2022 leur a permis la détection de cas non évidents dans les études avec un suivi plus court après la pandémie.

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Crit%C3%A8res_de_Hill
[2] Mette Bliddal & coll. Psychotropic medication use and psychiatric disorders during the COVID-19 pandemic among danish children, adolescents, and young adults. JAMA Psychiatry. 2023 vol 80(02): 176-180. doi:10.1001/jamapsychiatry.2022.4165

Dr Alain Cohen

Références
Troels Boldt Rømer & coll.: COVID-19 and mental health in young people –causality or co-occurrence? JAMA Psychiatry; 2023 vol 80(06): 649.
Mette Bliddal & coll.: COVID-19 and mental health in young people –causality or co-occurrence?–reply. JAMA Psychiatry; 2023 vol 80(06): 650.

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