Paris, le 10 décembre 2021 – Les « déserts » médicaux sont
loin d’être une question franco-française et sans évoquer des
situations extrêmes dans des pays en voie de développement, la
plupart des états à haut niveau de revenu connaissent des
phénomènes comparables.
Fort de ce constat, la DREES (Direction de la Recherche, des
Études, de l'Évaluation et des Statistiques), s’est livrée à une
revue de la littérature qui apporte une contribution au débat (sans
fin) sur les zones sous-denses.
Mais dès le préambule, l’institution statistique du ministère de la
santé prévient : « le niveau de preuve sur l’efficacité des
politiques est modeste, faute d’évaluations robustes (par exemple
avec des expérimentations « randomisées »). Il faut donc se garder
de transpositions hâtives ».
D’abord comprendre les déterminants du choix d’un lieu
d’installation
Des études ont été menées dans six pays, dont cinq Européens,
visant à préciser l’importance que les médecins accordent à
différents aspects de leur vie professionnelle (essentiellement le
niveau de revenu, l’environnement rural ou urbain, la durée de
travail, les permanences de soins).
Il en ressort « que le niveau de revenu est un aspect qui
importe certes, mais que d’autres aspects non pécuniaires de
l’exercice professionnel revêtent une valeur encore plus importante
à leurs yeux. En conséquence, influer sur leurs choix par le biais
d’incitations financières nécessiterait des augmentations de revenu
extrêmement élevées pour compenser des conditions d’exercice
considérées comme désavantageuses » souligne la DREES.
Alors quelles interventions possibles ?
La DREES rapporte également les données internationales sur
les quatre grands types d’intervention qui ont été menés à travers
le monde (et en France).
Outre les incitations financières, dont a vu le faible niveau
d’efficacité, la DREES évoque l’augmentation du nombre d’étudiants
admis à poursuivre des études de médecine. Mais ici aussi, cette
seule mesure ne semble pas permettre de corriger les disparités de
densité médicale.
Pourquoi pas une « discrimination positive » en faveur
des étudiants des départements mal desservis ?
En revanche, des expériences, menées notamment aux États-Unis,
ont conduit plusieurs pays à établir des quotas en faveur
d’étudiants venues de communes défavorisées en termes d’accès aux
soins. Ainsi, pour la France, aider des étudiants de la Creuse
moins bien notés, à passer en deuxième année de médecine, pourrait
permettre à terme d’augmenter le nombre de médecins dans ce
département sinistré en termes d’accès aux soins…Mais faudrait-il
encore que ces étudiants creusois puissent étudier en Creuse, «
une démarche de décentralisation des lieux de formation devrait
être mise en œuvre » pour que cette mesure de «
discrimination positive » soit pleinement efficace souligne
ainsi la DREES.
Restreindre la liberté d’installation, ça marche,
mais…
Passons aux stratégies plus contraignantes qui consistent à
restreindre la liberté de choix du lieu d’exercice. Un certain
nombre de pays recourent à cette forme de régulation selon des
modalités variables que l’on peut classer en deux catégories : un
passage obligatoire d’exercice dans des zones déficitaires pendant
une durée déterminée ; une restriction plus globale de la liberté
d’installation, les médecins exerçant leur choix dans le cadre d’un
nombre limitatif de places (ou de postes, ou de contrats) défini
par zone géographique.
Sans surprise, ces options « liberticides » (pour
certains syndicats professionnels) permettent bien d’accroitre le
nombre de praticiens dans les zones sous denses.
Mais d’une part, les résultats ne sont pas probants au niveau
« infrarégional » (pour reprendre l’exemple de la Creuse,
tous les médecins contraints à y exercer, s’installeraient à
Guéret) et d’autre part, rien n’est dit sur l’influence d’une telle
mesure sur les vocations à l’installation.
Quoi qu’il en soit, « l’expérience internationale montre
l’efficacité limitée de mesures isolées, et l’on constate dans
plusieurs pays une évolution vers des stratégies plus globales,
combinant différents leviers » souligne la DREES, sans se
mouiller.
Espérons que ces travaux seront scrutés avec intérêt par les
candidats à la magistrature suprême.
Comment encourager nos futurs Consœurs et Confrères à s'installer loin en "périphérie"? Peut-être en imaginant un dispositif suffisamment "alléchant" pour les convaincre de s'installer "pour toujours", seuls, loin de toute vie culturelle, loin de toute vie scientifique... Trois conditions préalables semblent des prérequis.
Primo, par une rémunération exceptionnellement élevée et en second lieu par la garantie "bétonnée" d'une retraite très confortable précoce, par exemple à cinquante ans permettant d'espérer vivre ensuite une "vraie vie" après une vingtaine d'années d'exercice.
Enfin, la certitude de disposer, quoi qu'il se passe, chaque année d'un mois de remise à niveau (obligatoire) dans un centre universitaire, logé, nourri et instruit.
Toute autre solution entraînera l'exil des "moins doués" dans ces zones avec pour eux la nécessité de tenter de s'en évader au plus vite.
Les Soviétiques avaient un système de classement national en fin d'études. Les premiers classés pouvaient choisir spécialité et lieu, les moins bien classés étaient envoyés pour quelques années comme généralistes en une sorte de purgatoire dans les républiques lointaines...
Il est des circonstances où il faut être créatif, au risque d'être dérangeant, politiquement très incorrect, etc. Ce problème qui va s'aggravant le nécessite. D'urgence.
Dr Charles Kariger
Le conjoint
Le 11 décembre 2021
Dans les obstacles évoqués ici celui du conjoint est occulté. Il me semble pourtant essentiel... et insoluble à mes yeux. Mais je manque sans doute d'imagination. Une majorité de médecins en fin de formation sont en couples, voire ont des enfants. Comment attendre que ce conjoint, ayant, il ou elle-même généralement fait des études, souvent déjà intégré dans la vie professionnelle, accepte une installation dans un "trou" ou il ou elle perdra, dans 90 % des cas, ses revenus et sa qualification professionnelle ? Combien de ces médecins ruraux accepteront de rejoindre leur "moitié" dans quelques grande ville pour seulement 1 ou 2 jours par semaines... lorsqu'ils ne seront pas de garde ?
Le temps du médecin époux d'une femme sans qualification autre que ménagère qui suit partout son seigneur et maitre est révolue !
Ceci me semble bien plus essentiel que "le niveau de revenu, l’environnement rural ou urbain, la durée de travail, les permanences de soins" seuls évoqués ici.
En tout cas avant d'envisager des "expérimentations avec un niveau de preuve suffisant" (et leurs résultats dans 1 ou 2 décennies !) il me semblerait nécessaire d'effectuer une enquête auprès des médecins de moins de 45 ans installés en ville leur demandant de classer les raisons qui leur ont fait choisir de ne pas s'installer en zones rurales. Je ne pense l'avoir jamais vu, au moins à un niveau exhaustif. Lorsqu'on connaitra ces raisons on pourra tenter d'y remédier. En somme je propose une idée originale : faire un diagnostic avant de tenter des traitements !
Dr Yves Gille
Tous responsables
Le 11 décembre 2021
Qui a poussé pour le numérus clausus ? Les médecins. Qui a centralisé la formation ? Les patrons des CHU, suppression des CES avec des formations en périphérie. Qui a eu cette stupide idée de sélectionner les spécialistes sur un seul concours de fin d’étude, créant des frustrés avec des choix par défaut ? Cela a vidé les périphériques des médecins en formation. Si on peut pas faire ce que l’on désire, autant s’installer où et quand on le souhaite. Qui refuse le temps partagé dans les hôpitaux de proximités ? Les patrons toujours. Mais je suis du même avis que notre confrère, la société a évolué, et les souhaits des collègues de plus en plus âgés lors de leur installation aussi.
Qui ne joue pas son rôle de régulateur dans l’installation des jeunes ? La sécu, qui ne devrait pas donner l’autorisation d’installation dans des zones sûr dotées, et encore moins, accorder un secteur 2 alors qu’il n’y a pas des S1 Bref il y a du travail pour trouver une solution.
Dr Wladimir Melnick
Réponse d'une consoeur de 43 ans mère de famille - éléments de réflexion
Le 12 décembre 2021
Voilà déjà des pistes issues de mon parcours personnel, d'interne puis CCA puis PH en CHU et enfin libérale en SCM :
- les études de médecine cantonnées au CHU/gros CH sont un frein à l'envolée en libéral, c'est évident : le libéral est très mal vu en milieu hospitalier ("c'est le tiroir- caisse"), on est "tout seul", éloigné des grandes émulations universitaires et de ce "qui bouge" : les stages en libéral pour les internes de spécialité devraient changer la donne, mais c'est long et laborieux...
- après 10 ans d'études de médecine relativement stérilisantes au niveau social (si j'en crois les vies totalement différentes des amis partis vers des écoles d'ingé ou autres...), comment motiver des jeunes de 26-28 ans à aller s'installer dans un trou paumé ? C'est l'âge où l'on cherche un conjoint, ou bien où l'on est déjà en couple avec des enfants tous petits, ayant besoin de nounous, de crèches, d'écoles, de grands-parents pas loin pour les innombrables coups durs (le Covid en fait partie : vous les mettez où, vos gosses, quand la classe ferme une semaine et que vous consultez, et que votre conjoint travaille aussi ? ah, ah, personne n'y pense jamais ! c'est une angoisse de chaque matin, et le Covid l'amplifie, merci, merci...)
- le conjoint n'est pas forcément du même métier et ne peut pas suivre partout
- le besoin de vie culturelle et spirituelle est AUSSI un besoin fondamental du médecin, il n'est pas une machine sans émotions : aller à un concert, à un spectacle, au cinéma, à la piscine, au temple, à l'église, à la mosquée, voir des amis, que sais-je encore... cela est essentiel de temps en temps pour rester un être humain et pas juste un robot à consulter ou à faire des visites derrière son ordinateur ! Notre expérience des confinements successifs qui a failli nous rendre fous et faire exploser notre couple l'a démontré : boulot/enfants/dodo, cela donne juste envie d'en finir avec la vie au plus vite. Ou de s'enfuir. 1h de sport par semaine et 2h de loisirs, cela suffit déjà pour se sentir un adulte équilibré.
- Le médecin libéral a besoin aussi d'un CH de proximité, de qualité même si petit, avec des interactions positives avec ses collègues hospitaliers (ce qui facilite la vie pour tout le monde, patients, libéraux et hospitaliers) ; favoriser les vacations, la reconnaissance mutuelle est essentiel. Des FMC communes libéraux/hospitaliers du même territoire seraient bienvenues.
Résumons : le médecin que l'on veut installer en zone dite "déserte" a besoin de trouver un logement facilement, des liens sociaux, des structures proches et de qualité pour accueillir ses enfants de 0 à 18 ans, un minimum de tissu associatif pour s'épanouir au-delà de son métier, et un centre hospitalier de proximité sur lequel s'appuyer mais pour lequel il va représenter aussi un appui (ex : suivi précoce post-sortie des urgences, avis spécialisé rapide, protocoles communs de prévention, vacations, participation à certaines astreintes... beaucoup est à faire entre libéraux spécialistes et hospitaliers).
Une seule mesure ne suffira pas. Imposer un exercice dans un "désert médical" également désert social et économique en général ne fera que créer de la colère et de l'indignation. Sommes-nous juste des pions ? ne serait-il pas temps de reconnaître l'humanité des médecins ? reconnaître leurs besoins autres que juste celui de s'épanouir (s'aliéner souvent !) dans son métier ? Qu'en dirait notre comité d'éthique ?