
Les médias en ont très peu parlé. Et l'information n'a justifié, même sur le JIM.fr, que des entrefilets. Le 24 août dernier, alors que le monde avait les yeux braqués sur l'Afrique de l'Ouest où sévissait l'épidémie meurtrière que l'on sait, l'OMS faisait état, à des milliers de kilomètres de là, d'une flambée d'Ebola en République Démocratique du Congo (RDC). Cette nouvelle épidémie d'Ebola, la septième en RDC (ex Zaïre) depuis la découverte du virus dans ce pays en 1976, ne semble pas liée à celle d'Afrique de l'Ouest et serait en voie d'extinction.
Une équipe internationale, regroupant des chercheurs congolais, français et canadiens ainsi que des experts de l'OMS, fait le point sur cette épidémie équatoriale dans une publication mise en ligne le 15 octobre sur le site du New England Journal of Medecine. Elle y tente également de mettre en évidence ce qui la distingue de l'épidémie d'Afrique de l'Ouest et ce qui explique ces évolutions très différentes.
Un singe à l'origine de l'épidémie
La patiente index était une femme enceinte vivant à Inkanamongo, un village de la province d'Equateur à 700 kilomètres à l'est de Kinshasa. Cette jeune femme avait cuisiné un singe (d'une espèce indéterminée) qui avait été retrouvé mort par son mari. Les symptômes se sont déclarés le 26 juillet et la patiente est décédée le 11 août. Ce cas index semble avoir contaminé directement vingt et une personnes par contact direct ou par l'intermédiaire de ses fluides corporels. Pour ne pas enterrer cette première patiente avec son fœtus, selon une coutume local, un médecin assisté, de 3 auxiliaires de santé, a procédé à une césarienne post mortem. Ces 4 soignants ont été contaminés et sont décédés après avoir infecté à leur tour quelques dizaines d'autres d'habitants.
Un virus plus proche de ceux isolés auparavant en RDC que ceux d'Afrique de l'Ouest
Le virus Ebola isolé chez ces patients par des laboratoires de Kinshasa et de Franceville (Gabon) est un variant proche de celui qui avait été identifié à Kikwit (RDC) en 1995 (identité de 99,2 %) et est relativement différent de celui qui frappe aujourd'hui l'Afrique de l'Ouest (identité de seulement 96,8 %) ce qui semble confirmer l'absence de relation épidémiologique entre les deux foyers.
Au plan clinique, les cas d'Ebola qui viennent d'être observés en RDC ne se différencient pas de ceux des épidémies précédentes en RDC ou de ceux que l'on diagnostique actuellement en Afrique de l'Ouest: même symptômes, même durée d'incubation (16 jours en valeur médiane), taux de mortalité équivalent (74 %).
Au total jusqu'au 7 octobre, cette flambée épidémique a concerné 69 personnes dont 48 ont été contaminées secondairement par des contacts du cas index. Le taux initial de reproduction sériel de la maladie, R0 (correspondant au nombre moyen de cas secondaires lorsqu'un patient index est introduit dans une population non infectée), a été estimé à 21 lors de la phase initiale de l'épidémie (au cours de laquelle les nouveaux patients avaient été en contact avec le cas index). Par la suite le taux moyen de reproduction sériel est descendu à 0,84, une valeur en dessous de 1, c'est à dire faisant espérer un arrêt rapide de la transmission de la maladie.
De fait aucun nouveau cas n'a été rapporté après le 4 octobre 2014 et l'épidémie semble jugulée.
Qu'est-ce qui différencie cette flambée équatoriale de l'épidémie d'Afrique de l'Ouest ?
Il semble donc que cette nouvelle épidémie en RDC soit du même type que celles qui ont frappé l'Afrique équatoriale depuis 1976, c'est à dire pouvant être contrôlée en quelques mois avec un taux de reproduction sériel inférieur à un après la phase initiale.
Gaël Maganga et coll. se sont attachés à tenter d'identifier les raisons environnementales, virologiques, culturelles ou tenant aux structures sanitaires qui pourraient expliquer cette différence majeure avec l'épidémie actuelle en Afrique de l'Ouest.
- Des coutumes différentes en Afrique centrale et occidentale ne
semblent pas en cause en première analyse. Des rites funéraires
proches paraissent en particulier favoriser la propagation de
l'infection dans les deux régions africaines. De plus dans les deux
zones d'Afrique concernées, les infrastructures sanitaires
paraissent tout aussi limitées.
- Le virus Ebola qui circule aujourd'hui en Afrique de l'Ouest est
plus sujet aux mutations que ceux que l'on isole en Afrique
équatoriale, sans que ceci se traduise toutefois par des variations
dans les manifestations cliniques de l'infection ou dans sa
létalité.
- L'environnement dans lequel ces épidémies se développent semble
pouvoir être mis en cause de façon plus probante. Les zones où
Ebola a sévi en Afrique équatoriale sont des régions forestières
isolées tandis qu'Ebola frappe aujourd'hui des villes et des grands
villages d'Afrique de l'Ouest connectés entre eux par un réseau
routier dense avec un important trafic trans-frontalier. On peut
également évoquer des différences qui porteraient sur les animaux
susceptibles de transmettre le virus.
- On peut supposer qu'il existe une résistance naturelle à
l'infection à Ebola supérieure en Afrique équatoriale. Celle-ci
pourrait être liée à une immunisation d'une partie de la population
par les épidémies précédentes ou à des caractéristiques génétiques
différentes des ethnies vivant dans ces deux
régions.
- Enfin, l'épidémie actuelle en RDC semble avoir été nettement
mieux combattue à son origine que celle qui est apparue en Guinée,
il y a quelques mois. Ceci peut être lié à l'expérience acquise par
les services sanitaires au cours des flambées précédentes et à une
intervention internationale immédiate.
Toutes ces hypothèses n'ont pas qu'un intérêt théorique.
Les infirmer ou les confirmer pourrait aider à la compréhension de l'épidémiologie d'Ebola en Afrique de l'Ouest et peut-être au contrôle de cette épidémie ravageuse.
Dr Anastasia Roublev