Quel avenir pour l’AME ?

Paris, le mercredi 31 janvier 2024 – Sauvée in extremis il y a deux mois lorsque la droite voulait la supprimer, l’Aide médicale d’Etat (AME) fera bien l’objet d’une réforme a minima en 2024.

Parmi les nombreuses annonces concernant la santé qu’il a faite lors de son discours de politique générale ce mardi (voir notre autre article du jour à ce sujet), le Premier Ministre Gabriel Attal a notamment promis de réformer l’Aide médicale d’Etat (AME), un geste vis-à-vis des parlementaires de droite et d’extrême-droite. La suppression de ce dispositif créé en 2000, qui assure un accès aux soins gratuits aux immigrés clandestins sous condition de revenus, est en effet devenue le cheval de bataille de LR et du RN.

Un petit rappel des faits sur cette bataille autour de l’AME ces derniers mois s’impose. Le 7 novembre dernier, dans le cadre de l’examen du projet de loi sur l’immigration, la majorité de droite au Sénat votait un amendement en faveur du remplacement de l’AME par une aide médicale d’urgence (AMU). Un amendement qui prévoyait de limiter l’AMU « à la prise en charge de la prophylaxie, du traitement des maladies graves et des douleurs aigues, des soins liés à la grossesse, des vaccinations réglementaires et des examens de médecine préventive ».

Gabriel Attal reprend la promesse d’Elisabeth Borne

La question avait alors divisé le gouvernement : le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin s’était dit favorable à cette réforme de l’AME, tandis que le ministre de la Santé de l’époque Aurélien Rousseau s’y opposait (il a depuis quitté le gouvernement, à cause du vote de la loi sur l’immigration). Pour trancher le conflit, la Première Ministre Elisabeth Borne avait alors confié à l’ancien ministre de la Santé Claude Evin et à l’ancien préfet Patrick Stefanini le soin d’élaborer un rapport sur l’AME. Le 4 décembre dernier, les deux hauts fonctionnaires rendaient leur verdict : selon eux, l’AME est un « dispositif sanitaire utile et globalement maitrisé », qui ne constitue pas un élément incitatif à l’immigration irrégulière.

Au Parlement, les députés ont finalement rétabli l’AME dans son intégralité le 29 novembre, prétextant que sa suppression constituerait un cavalier législatif. Mais pour s’assurer les votes de la droite sur le projet de loi sur l’immigration, la Première Ministre Elisabeth a promis, par la voie d’un courrier adressé au président du Sénat Gérard Larcher le 18 décembre dernier, que l’AME serait bien réformée en 2024 via un projet de loi spécifique.

L’affaire en était donc là jusqu’à ce que Gabriel Attal réitère ce mardi aux députés de droite la promesse faite par son prédécesseur il y a un peu plus d’un mois. Mais pour le président du parti Les Républicains Eric Ciotti, cette annonce du nouveau Premier Ministre constitue en réalité « une forme de trahison de la parole donnée ». Le chef du gouvernement a en effet annoncé que cette réforme de l’AME se ferait « avant la fin de l’été par la voie réglementaire » et non donc pas par une loi, alors même qu’Elisabeth Borne avait promis que les parlementaires seraient « pleinement associés à ces travaux ».

La FHF et le Covars défendent l’AME

Mais ce qui inquiète surtout la droite, c’est l’annonce faite par Gabriel Attal que cette future réforme s’appuierait « sur une base qui est connue, le rapport Evin-Stefanini ». Or, ce rapport s’oppose à toute limitation du périmètre de l’AME, le passage à une AMU limitée aux soins urgents pouvant avoir des conséquences sanitaires et financières lourdes selon les auteurs du rapport, en raison du report de la prise en charge médicale des immigrés.

Le rapport n’appelait finalement qu’à quelques ajustements techniques, tel un renforcement du contrôle des conditions d’éligibilité à l’AME et une généralisation de la procédure soumettant à une autorisation préalable de la CNAM les soins non-urgents. C’est donc a priori une réforme de l’AME a minima que prépare l’exécutif. « Ce gouvernement fera trop peu » prédit Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat.

Alors que l’on reparle à nouveau de réforme de l’AME, les différentes organisations de défense de la santé publique s’expriment à nouveau en faveur du maintien de ce dispositif, comme elles avaient pu le faire à l’automne dernier. « La suppression de l’AME serait une faute sanitaire, éthique et budgétaire immense » a ainsi déclaré ce lundi le président de la Fédération hospitalière de France (FHF) Arnaud Robinet, par ailleurs proche de la ministre de la Santé Catherine Vautrin. Le maire de Reims considère au contraire que l’AME, à laquelle environ 50 % seulement des personnes éligibles ont recours, doit être renforcée, pour « rester ce qu’elle est exclusivement, c’est-à-dire un outil de santé publique ».

Ce mardi, c’est le comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars) qui a pris la défense de l’AME. « Le dispositif de l’AME est un outil efficace de protection et de santé publique, sa restriction éventuelle augmenterait le risque de transmission de pathogènes à la population générale et aggraverait davantage les risques d’évolution vers des maladies graves et plus lourdes à prendre en charge in fine par le système de santé » plaident ces scientifiques.

Quentin Haroche

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Vos réactions (1)

  • Supprimons les chambres ?

    Le 01 février 2024

    Merci de ce rappel sur le Barnum idéologique et électoraliste sur le devenir de l’AME dans le contexte de l’émergence de … l’« Attalisme » et du retour de l’Archange (déchu au passage) Gabriel .

    Le rapport Evin- Stefanini* (4/12/2023) aurait du être le prérequis à tout vote (Sénateurs 7/11/ 2023 – Députés 29/11/2023) afin de l’éclairer. Aucune urgence factuelle à modifier un dispositif en cours depuis 2000.

    La voie réglementaire, excluant les chambres, semble être appelée à remplacer maintenant le verdict de la voie législative enfin éclairée et sans … « cavalier ».
    De même pour le retour de l’obligation des « gardes libérales » ?

    Supprimons les chambres ? Pour les remplacer par les belles âmes des tribunes, collectifs, associatifs, fédérations, Cimade. Reste à demander au Pape s’il aime le petit Jésus.

    Les réactions rappellent les limites vite atteintes des sondages / radio-crochets comme celui du JIM**, très favorables à la suppression de l’AME (« 71%** »).

    Se souvenir des actions entreprises auprès du CNOM vis à vis de (2 ?) sénateurs-soignants " hérétiques " ayant voté en faveur de la suppression de l’AME : Plouf probable
    Quelques psychiatres ne sont pas (avec le Dr Pelloux et Hippocrate) les garants de l’Ethique.
    Hippocrate est plus souvent cité que Mr M Rocard, plus contemporain.

    Quelle interface y a t'il entre les Bienveillants - AME et ceux qui s’accrochent à la liberté d'installation (urbaine) initiale, au passage de la consultation de 25 à 50euros , au dé conventionnement . Ou ceux qui expriment leur hostilité vis à vis des gardes en ville obligatoires (une fois la question de la récupération détaillée) ?

    Le corolaire d'un nième appel à la "désobéissance civile" serait l’application de la gratuité pour les « libéraux » : super mais … à suivre dans les faits.

    L'argumentaire sanitaire et financier en faveur du maintien de l’AME est plus convaincant .
    La triste expérience de suppression provisoire de l' AME en Espagne est régulièrement citée : sur mortalité - sur fréquentation hospitalière - surcoût . Contreproductive donc.
    Il est cependant utile d'en prendre connaissance*** avant de l'évoquer : les dispositions espagnoles pour l'AMU étaient différentes et plus restrictives** que celles votées amendées par nos sénateurs le 7/11/2023 **.

    * https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_ame-decembre-2023.pdf
    ** JIM 8/11/2023 "Exclusif : les professionnels de santé majoritairement favorables à la suppression de l’AME"
    *** Peralta-Gallego L et coll. Effects of undocumented immigrants exclusion from health care coverage in Spain. Health Policy. 2018 Nov ;122(11):1155-1160.
    doi: 10.1016/j.healthpol.2018.08.011

    **** « la prise en charge de la prophylaxie, du traitement des maladies graves et des douleurs aigues , des soins liés à la grossesse, des vaccinations réglementaires et des examens de médecine préventive »

    Dr JP Bonnet

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