Scandale Orpea : les auditions se succèdent

Paris, le jeudi 24 février 2022 – La commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale a poursuivi ses auditions (souvent accablantes) sur la situation dans les Ehpad du secteur privé.

La parole était à la défense ce mercredi soir. La commission des affaires sociales auditionnait Jean-Claude Marian, fondateur et président d’honneur de la société Orpea, leader mondial des Ehpad sous le feu des accusations depuis que le journaliste Victor Castanet a révélé dans son ouvrage Les Fossoyeurs de nombreux dysfonctionnements dans les établissements pour personnes âgés gérés par le groupe.

« Œuvre d’une vie » contre « machine à broyer »

Devant les députés, l’ancien médecin de 82 ans, qui a quitté la direction du groupe Orpea en 2013, a tenu à défendre « l’œuvre d’une vie » et a dénoncé la « caricature qui en est faite dans le livre de M. Castanet ». Il a ainsi rejeté en bloc toutes les accusations portées contre lui et son ancienne société ces dernières semaines. Non, il n’y a pas de « système Orpea » destiné à faire passer la rentabilité avant l’intérêt des résidents, mais « un système des Ehpad à perfectionner ». Non, ni Jean-Claude Marian ni aucun de ses représentants n’ont proposé 15 millions d’euros à Victor Castanet pour qu’il ne publie pas son livre. L’ancien président d’Orpea a tout de même tenu à « présenter ses excuses » aux résidents d’Ehpad qui auraient subi des actes de maltraitance dans les établissements gérés par son groupe.

L’audition de ce mercredi soir a souvent tourné au dialogue de sourd entre l’homme d’affaires et les parlementaires. « On reste sur notre faim » a conclu la présidente de la commission Fadila Khattabi. Sans doute les députés avaient encore en tête l’audition réalisée la veille de deux anciens employés d’Orpea : Laurent Garcia, infirmier à l’établissement Les Bords de Seine de Neuilly et principale « source » de Victor Castanet dans son enquête et Camille Colnat, qui fut directeur d’un établissement Orpea en Alsace.

Le premier a dénoncé « la machine à broyer les salariés » que représente pour lui le groupe Orpea. Au bord des larmes durant son audition, l’infirmier a dénoncé pêlemêle le manque de personnel (notamment de médecins coordinateurs), le délaissement des résidents et l’absence de contrôle par les ARS. Plus édifiant encore était l’intervention de Camille Colnat, qui a révélé les pratiques managériales et financières douteuses en vigueur au sein d’Orpea. Comme d’autres témoins avant lui, il a notamment souligné l’obsession du groupe pour la rentabilité et le taux d’occupation. En tant que directeur d’établissement, on lui demandait ainsi réduire le temps de présence des médecins pour faire de « substantielles économies » mais aussi prévoir le nombre de résidents susceptibles de mourir (et donc de libérer une place) dans les 15 jours !

Un manque de personnel « suraigu »

Entre « l’œuvre d’une vie » de Jean-Claude Marian et « la machine à broyer » de Laurent Garcia, l’audition ce mercredi matin par les députés de deux représentant des fédérations de médecins coordinateurs d’Ehpad ont permis de sortir des caricatures et de prendre un peu de hauteur sur la question. Les Drs Pascal Meyvaert et Odile Reynaud-Levy ont tous les deux dressé un tableau peu reluisant de la situation. « On accueille des gens de plus en plus dépendants, avec de plus en plus de pathologie, avec de moins en moins de personnel » a résumé le Dr Meyvaert. Les deux médecins ont rappelé quelques chiffres : en moyenne, on compte 0,53 « équivalent temps plein » par résident, alors que le Défenseur des droits a fixé l’objectif à 0,8. En outre, 30 % des Ehpad français ne compterait aucun médecin coordinateur.

Pour palier ce manque de personnel devenu « suraigu » selon le Dr Meyvaert, les gériatres ont avancé plusieurs pistes. Il faudrait notamment selon eux appeler à la rescousse les généralistes libéraux et surtout les infirmiers en pratique avancée (IPA), dont il faut favoriser la formation en gériatrie selon Odile Reynaud-Levy. Un brin pessimiste, le Pascal Meyvaert estime qu’il sera tout de même dur d’inciter les médecins à « s’enfermer dans un Ehpad où les perspectives d’évolution sont quasiment nulles ».

La commission des affaires sociales rendra ses conclusions sur cette série d’auditions la semaine prochaine.

Nicolas Barbet

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Vos réactions (2)

  • Rien d’étonnant

    Le 24 février 2022

    Rien ne me surprend dans ce « déni » de responsabilités et les protestations des responsables de ce groupe. J’ai, moi-même, vécu ce genre de dérives en exerçant mon rôle d’infirmier au sein d’un établissement appartenant à une entité comme Orpéa. Le résultat fut un conflit permanent avec les « cadres » devant toutes ces ignominies (pour le moins, et en langage châtié !). Au final le pot de terre s’est brisé contre le pot de fer. L’avis d’un « petit » infirmier ne vaut pas un clou face aux soucis de rentabilité. Rien d’étonnant quand on sait que la plupart de ces groupes sont « cotés en bourse » et donc, inféodés aux actionnaires qui attendent leur dû. On m’a refusé (à l’époque) l’achat d’un oxymètre de pouls à 150 € (prix en vigueur alors) mais « on » a pas hésité à engager 3000 € pour du mobilier de jardin « design » pour la galerie et son usage ; très sporadique, par quelques résidents encore valides. Et je ne parlerai même pas des « pannes » de changes pour ces pauvres dépendants. Bref, cela s’est fini par un licenciement pour faute (pas grave car je me suis retenu de flanquer mon poing dans la hure directoriale !) mais le mal était fait. Toute vérité n’est pas bonne à dire. La résultante étant un profond dégoût pour ces « faiseurs de fric » et la promesse que je le suis fait de ne plus jamais y travailler.

    La solution pourrait venir d’un simple texte de Loi encadrant parfaitement les statuts, le domaine d’action en fonction de l’Ehpad (médicalisé ou non) et un contrôle vraiment efficace des autorités de tutelle ( H.A.S., Igas, ARS et tutti quanti). Le tout, bien sûr, agrémenté d’un arsenal de sanctions idoines et…bien appliqué.

    Enfin, je n’oublie pas ma naïveté coutumière quand on sait ce que représenterait, en terme d’impact financier, la prise en charge de nos aînés dépendants par l’Etat. Jusqu’à présent c’était parfait de laisser « le privé » gérer tout cela. On voit ce que cela a donné. Il serait temps de recadrer tout ce joli monde.

    Jean-Laurent Bortolaso (IDE)

  • @Jean-Laurent Bortolaso

    Le 27 février 2022

    Merci pour ce témoignage qui nous donne une idée de ce qu'il faut penser du cœur des vertus outragées qui s'est longuement épanché ici il y quelques jours pour défendre l'indéfendable.
    Bon courage.
    J. Sartre

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