Vers une saturation des services de pédopsychiatrie ?

Paris, le mardi 9 février 2021 – Un effet secondaire inattendu du vaccin ? Ce regain d’optimisme, rare dans la bouche d’Olivier Véran, n’est en tout cas pas passé inaperçu.

Depuis ce matin, sa déclaration à l’antenne de FranceInfo est largement reprise : « Il est évidemment possible qu’on ne soit jamais reconfiné » a affirmé le ministre de la Santé, qui est plus souvent coutumier de la rhétorique inverse quand il indique que la perspective d’un confinement est toujours à envisager.  

Un mois pas plus !

Cependant, à contre-courant de cette projection (qui n’est qu’une projection), le Syndicat national des médecins scolaires et universitaires (SNMSU-Unsa Education) a appelé hier à une fermeture immédiate de tous les établissements pour une durée de quatre semaines. Cette préconisation repose sur l’idée de mettre à profit une suspension limitée (en profitant des vacances qui viennent de débuter dans une partie de la France, l’absence de cours ne serait que de deux semaines) afin d’obtenir une réduction de la circulation de SARS-CoV-2 et de ses variants dans les établissements. Cependant, même si elle semble mue par la préoccupation d’éviter une interruption trop prolongée, elle va à l’encontre de la conviction fermement défendue par la plupart des pédiatres qu’il faut à tout prix éviter toute mesure de « confinement » des plus jeunes.

Se méfier de l’eau qui dort (mal)

Les ravages sur la santé mentale des enfants et des adolescents des mesures prises depuis le printemps dernier s’observeraient en effet aujourd’hui de façon explosive. Pourtant, si l’on en croit certaines enquêtes, le confinement du printemps et la fermeture des écoles se sont relativement bien passés. Une récente étude de l’Institut national d’études  démographiques (INED) concernant les enfants de 8/9 ans conclut en effet : « Si l’on résume le faisceau de difficultés éprouvées par les enfants par un score synthétique, on observe que 55 % d’entre eux n’ont eu aucun problème particulier, 30 % en ont eu un seul, 10 % deux, 5 % trois ou plus (…). En dépit du bouleversement de leur quotidien, les enfants de 8-9 ans se sont plutôt bien adaptés au premier confinement ». Cependant, l’enquête signale quelques éléments notables : les plus grandes difficultés des enfants vivant dans des conditions défavorables, la progression des problèmes au fil du temps (confirmant la nécessité d’éviter le plus possible des fermetures d’école prolongées) et l’augmentation des troubles du sommeil. « Le confinement a eu un impact délétère sur le sommeil pour 22 % des enfants (difficultés d’endormissement ou réveils nocturnes) : la moitié connaissaient déjà des problèmes de sommeil auparavant et les a vus s’aggraver, l’autre moitié les a vus apparaître pendant le confinement » relèvent les auteurs. Cet impact sur le sommeil pourrait être perçu comme un indice du développement sous-jacent de troubles, pouvant se manifester de façon plus directe ultérieurement. Or, l’automne et l’hiver semblent avoir confirmé ce scénario.

Effet « cocotte-minute »

« Pendant des mois, ils ont pris sur eux et c’est maintenant que ça explose » résume sur Europe 1 la pédopsychiatre Julie Rolling (Hôpitaux Universitaires de Strasbourg) qui décrit un « effet cocotte-minute ». Ainsi, de nombreux services de pédopsychiatrie signalent une activité en hausse significative. De Strasbourg jusqu’en Corse en passant par Toulouse, on évoque une « détresse inédite » des enfants et des adolescents. Dans la ville rose, le professeur Isabelle Claudet, chef du service des urgences de l’hôpital des enfants relève : « Nous avons beaucoup d’enfants hospitalisés, qui décompensent aujourd’hui. Il y a 40 à 70 % d’admissions supplémentaires. Au lieu d’avoir trois à quatre hospitalisations par jour pour ces raisons, nous en avons douze à quatorze… Et ça nous inquiète énormément ». Au-delà de ces cas aigus, la spécialiste alerte sur les dégâts considérables du confinement sur les plus jeunes en dévoilant dans 20 minutes les résultats préliminaires de l’étude E.COCCON qu’elle a coordonnée. « Un enfant sur cinq a souffert d’un stress post-traumatique, les filles ayant un taux plus élevé que les garçons » note-t-elle évoquant notamment un « syndrome de la cabane ».

Décompensation

La décompensation signalée par les spécialistes ne concerne pas uniquement des troubles psychiques antérieurs, mais également des situations familiales explosives. « La crise de la Covid est un facteur de décompensation et un révélateur de milieux familiaux fragiles ou déjà à risque. Actuellement, nous avons à prendre en charge une minorité de pathologies chroniques, telles que les psychoses ou les troubles neurodéveloppementaux, qui ne sont pas directement liées à la crise. La majorité des patients qui nous sont adressés présentent en revanche des pathologies décompensées liées à des éléments anxieux ou post-traumatiques, à 90 % en lien avec des faits de nature sexuelle, associées à d'autres traumatismes » détaille dans Corse Matin, le docteur Jean-Martin Bonetti, chef de service à l’hôpital de Castellucciu. Ce dernier, à l’instar d’autres spécialistes, relève encore un autre élément préoccupant : le rajeunissement des patients par rapport à ceux qu’ils prennent habituellement en charge.

Maladie chronique

L’inquiétude des spécialistes de pédopsychiatrie est d’autant plus forte que dans leur secteur, exactement comme en réanimation, le nerf de la guerre est celui du manque de personnels. Ainsi, à l’hôpital de Castellucciu, l’Agence régionale de santé (ARS) a bien donné son feu vert au déploiement de quatre lits supplémentaires. Cependant, « L'ouverture de ces lits a été suspendue car nous n'avons pas le personnel », déplore le docteur Bonetti. « Qui soigner quand il n’y a pas la possibilité de le faire pour tout le monde ? (…). En tant que responsable d’un centre médico-psychologique (CMP) pour enfants et adolescents dans le nord des Hauts-de-Seine, il s’agit d’une question quotidienne, tant les listes d’attente pour être reçu par des professionnels de santé mentale se sont allongées ces dernières années (souvent plus de six mois après une première demande). (…) La mission première d’un CMP est d’accueillir toute personne en état de souffrance psychique. Et la question est alors de déterminer qui soigner en priorité, quand on ne peut pas recevoir tout le monde » avait décrit cet automne dans Le Monde, Oriane Bentata-Wiener, psychiatre, responsable du centre médico-psychologique (CMP) de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine) rappelant que la question de la saturation des services hospitaliers en temps de Covid et hors temps de Covid est loin de ne concerner que les services de réanimation et est un enjeu majeur.

Aurélie Haroche

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