Faut-il rendre la vaccination contre la Covid obligatoire ?
Paris, le samedi 23 janvier 2020 – Lors de son allocution du 24
novembre dernier, Emmanuel Macron insistait : « Je veux aussi
être clair : je ne rendrai pas la vaccination obligatoire ».
L’affirmation a été répétée quelques jours plus tard dans
l’interview accordée par le chef de l’Etat à Brut : « Je ne suis
pas favorable à la vaccination obligatoire pour ce vaccin. On ne
sait pas tout sur le vaccin ni sur le virus ».
Pas obligatoire… enfin presque !
Cependant, comme toute déclaration des représentants de l’exécutif
en général (et depuis le début de l’épidémie en particulier), il
est impossible de pouvoir considérer cette affirmation comme une
vérité intangible. D’ailleurs, quelques temps à peine plus tard, un
projet de loi était examiné en Conseil des ministres, disposant
qu’en période d’urgence sanitaire, le gouvernement pourrait être
habilité par décret à « subordonner les déplacements des
personnes, leur accès aux moyens de transport ou à certains lieux,
ainsi que l’exercice de certaines activités, à la présentation des
résultats d’un test de dépistage établissant que la personne n’est
pas affectée ou contaminée, au suivi d’un traitement préventif, y
compris à l’administration d’un vaccin, ou d’un traitement
curatif ». L’affaire se déroule il y a un mois, c’est-à-dire en
un temps où la réticence des Français vis-à-vis de la vaccination
anti-Covid est supposée majeure : aussi le tollé est immédiat. Le
gouvernement assure qu’on aura sur-interprété ses intentions et que
le projet n’a nullement vocation à rendre la vaccination contre la
Covid obligatoire et promet finalement de changer son texte. Dont
acte, si ce n’est évidemment que l’épisode a démontré s’il en était
besoin que le gouvernement était capable de démentir très
rapidement la promesse d’Emmanuel Macron, y compris en utilisant
une méthode déguisée. Or, comme le remarquait dans Le Monde, le
maître de conférences en droit public Christophe Alonso : « ce
texte (…) ravive la question lancinante de la vaccination qui nous
divise. La rendre obligatoire de façon insidieuse serait une
stratégie risquée ».
Ce qui était impensable il y a un mois, est considéré avec
sérieux aujourd’hui
Il est en effet probable qu’aujourd’hui, un mois après cette
controverse, plus que l’intention (rendre la vaccination
obligatoire) c’est la méthode détournée qui serait plus
certainement rejetée. En effet, un renversement certain s’est opéré
ces dernières semaines qui voit l’adhésion à la vaccination contre
la Covid de plus en plus marquée, offrant aux discours préconisant
de la rendre obligatoire une plus grande pertinence. Un symbole de
ce glissement pourrait être la position du professeur Eric Caumes
qui après avoir émis des réserves concernant le vaccin
Pfizer/BioNTech quand les données concernant son efficacité
n’étaient pas encore publiées a, début janvier, estimé qu’il
devrait être imposé aux soignants !
Principe de précaution
Pour certains, le débat cependant est prématuré. D’abord,
parce que le nombre de doses disponibles affaiblit les
argumentations en faveur de l’obligation. « Si on rend quelque
chose obligatoire, il faut être en mesure d’en fournir le contenu.
Or on ne peut pas aujourd’hui vacciner un million de professionnels
de santé en France », a ainsi fait remarquer la semaine
dernière Djillali Annane, chef du service de réanimation à
l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches.
Par ailleurs, certains relèvent que même si elle est supposée,
l’efficacité de la vaccination pour empêcher la transmission du
virus n’est pas parfaitement avérée (sans parler des possibles
conséquences de la diffusion de nouveaux variants sur l’efficacité
des produits actuels ou encore du faible recul dont on dispose
concernant les effets secondaires à moyen terme). Concernant
l’efficacité sur la transmission, cependant, les tenants d’une
obligation, notamment pour les soignants, invoquent le principe de
précaution. Ainsi, le patron de la Fédération nationale des
infirmiers (FNI), Daniel Guillerm notait dans une tribune publiée
dans le Journal du Dimanche fin décembre « s'il n'est pas établi
que le sujet vacciné ne peut être contagieux et donc transmettre le
virus, l'inverse n'est pas davantage démontré. Le principe de
précaution, d'ailleurs à valeur constitutionnelle, gagnerait à être
appliqué à cette vaccination contre la Covid-19. L'analyse du ratio
bénéfice-risque plaide sans le moindre doute en sa faveur
».
Le confinement oui, la vaccination obligatoire non ?
A l’instar de Daniel Guillerm, beaucoup considèrent que ces
arguments pour repousser la discussion sur la vaccination
obligatoire sont insuffisants pour affirmer son illégitimité. Si
l’on veut s’en tenir à une réflexion plus abstraite (en
s’émancipant des problèmes conjoncturels du nombre de doses et de
l’incertitude sur l’efficacité sur la transmission), les opposants
à une telle mesure font remarquer qu’elle représenterait une
entorse à la liberté de choix de chacun. L’obligation vaccinale
représente de fait une atteinte au libre consentement ; ce qui a
été l’objet de nombreuses discussions de la part du Conseil
constitutionnel. Cependant, aujourd’hui, nos repères en la matière
ont été profondément bouleversés par l’épidémie et les mesures qui
ont été prises pour tenter de la contenir. Ainsi, pour la version
anglo-saxonne du site The Conversation, Alberto Giubilini,
chercheur au sein du Centre for Practical Ethics à l’Université
d’Oxford invite à réfléchir : « Le confinement s’impose.
Exactement comme la vaccination obligatoire, il protège les
personnes vulnérables de la Covid. Mais, comme je l'ai exposé en
détail ailleurs, contrairement à la vaccination obligatoire, le
confinement est associé à des conséquences individuelles et
sociétales très importantes. Il n'est pas cohérent d'accepter le
confinement mais de rejeter la vaccination obligatoire »,
note-t-il. Cependant, ce n’est pas seulement l’épidémie de Covid
qui à ses yeux nous impose de repenser notre rapport à l’obligation
de certaines mesures sanitaires (et donc à notre liberté) mais
d’une manière générale, il considère que d’un point de vue éthique
la vaccination obligatoire se justifie car « Moins une action
qui permet d’éviter de nuire à autrui a d’impact pour l’individu et
plus le préjudice évité est grand, plus la justification éthique de
le rendre obligatoire est forte ».
Solidarité vs Liberté
Ainsi, dans la continuité de ce qui a souvent été observé
depuis le début de l’épidémie, les notions de liberté sont avec la
question de l’obligation vaccinale mises en concurrence (ce que
beaucoup déplorent) avec celles de solidarité. C’est le propos par
exemple de l’économiste Antoine Lévy favorable à la vaccination
imposée aux plus fragiles : « Le pays entier, au nom de la
fameuse «nation d’individus solidaires», a accepté de mettre
pendant un an sa vie en suspens pour sauver la vie des seniors, qui
représentent l’essentiel des décès et des cas graves, en attendant
l’arrivée d’un vaccin. Il est maintenant indispensable que les
personnes âgées se mettent, elles aussi, au service du bien commun,
et rendent au reste du pays la pareille » écrit-il dans une
tribune publiée par Le Figaro. De son côté, dans un propos bien
moins tranché, le journaliste François de Closets dans l’Opinion
rappelle que la notion de solidarité collective est un des
fondements de la vaccination : « Un calcul purement
individualiste peut conclure qu’il vaut mieux laisser l’injection
aux autres et profiter de l’immunité collective sans avoir à en
supporter l’effort. Il y a donc peu de chances de rassembler tous
les Français à partir d’un calcul purement égoïste. Pour
généraliser le civisme sanitaire, il faut rappeler que l’on ne se
fait pas seulement vacciner pour soi mais également pour les
autres. (…) Accepter ou refuser de se faire vacciner, c’est à
chacun de choisir. En ne tenant compte que de son intérêt
particulier. C’est un grand progrès pour autant que la France ne
soit pas sacrifiée sur l’autel de la liberté. Or un calcul, égoïste
ou réaliste, montre qu’il n’est pas besoin de se faire vacciner
pour profiter d’une France immunisée contre le coronavirus. Il
suffit que les autres suivent les consignes gouvernementales.
Combien de Français feront passer l’intérêt du pays que nul ne
rappelle avant le confort personnel partout célébré ? Ainsi la
vaccination devient-elle un banc d’essai pour la démocratie. Les
Français ont inclus la santé dans le pacte républicain. Pour
assumer cette responsabilité, celui-ci n’a pas seulement besoin
d’argent. Il lui faut aussi des moyens politiques afin de prévenir
les atteintes à la santé. Les pouvoirs publics entreprennent donc
de lutter contre l’insécurité routière et le tabagisme, d’imposer
des règles d’hygiène, de promouvoir des formes de vie saines, etc.
et la vaccination. Car la socialisation de la santé qui donne le
droit aux soins crée aussi des devoirs, l’obligation vaccinale par
exemple. Mais notre liberté s’accommode mal de ces rappels à
l’ordre. Que l’ordre vaccinal ne devienne pas un ordre
gendarmesque, on doit en discuter. Mais en amont de ces modalités,
le principe est intangible. On ne se fait pas vacciner pour soi,
mais pour la collectivité, on n’exige pas une médecine curative
sans accepter une médecine préventive. La réponse à la question «
irez-vous vous faire vacciner » n’est donc pas à rechercher dans
les traités de médecine, mais dans notre contrat social »,
développe-t-il (une analyse qui fait fi des incertitudes concernant
l’immunité collective face à SARS-CoV-2 et qui paraît considérer
qu’une couverture vaccinale totale aura pour effet la disparition
de la Covid-19, ce qui n'est pas complétement acquis).
Une mesure forcément contre-productive ?
Cette lecture de notre contrat social pourrait être
politiquement et philosophiquement discutée comme nous nous y
sommes parfois aventurés dans ces colonnes en interrogeant les
risques de considérer qu’il est légitime de mettre entre parenthèse
certaines de nos libertés au nom de la santé et de la
sécurité.
Cependant, plus pragmatiquement, certains questionnent
l’acceptabilité d’une telle mesure et la possibilité qu’elle soit
contre-productive. Les opinions en la matière sont contrastées.
Certains comme Vageesh Jain chercheur en santé public à
l’University College de Londres, également sur le site de The
Conversation, redoutent que l’obligation n’attise les thèses
complotistes sur lesquelles s’appuient les anti-vaccins. Dans cette
perspective, on peut s’interroger sur l’argument développé par
exemple par Daniel Guillerm, qui soutient la vaccination
obligatoire des soignants, car elle aurait valeur d’exemplarité.
L’exemplarité peut-elle en effet être considérée comme parfaitement
sincère quand la vaccination découle d’une obligation ? De la même
manière, remarquer que la vaccination obligatoire des
professionnels de santé leur permettra d’échapper à la mise en
cause de leur responsabilité n’est peut-être pas un signal positif
associé à l’obligation. Le message transmis à la société pourrait
en effet être que les soignants se vaccinent parce qu’ils sont
obligés et parce qu’ils ont peur d’être poursuivis (et non parce
qu’ils sont exemplaires ou qu’ils ont confiance dans le vaccin).
Cependant, si effectivement pour les opposants les plus farouches à
la vaccination, l’obligation ne viendra que conforter leur
défiance, pour ceux qui sont plus certainement indécis et réticents
(les plus nombreux), l’obligation peut envoyer un message positif.
Elle est en effet le signe d’une confiance des gouvernements dans
les vaccins et en l’occurrence ici dans les vaccins contre la Covid
en dépit du faible recul dont on dispose et pour certains du
caractère innovant de leur technologie. Alberto Giubilini fait
d’ailleurs remarquer : « Le simple fait de donner aux gens des
informations sur les vaccins n'entraîne pas toujours une volonté
accrue de se vacciner (…). D'un autre côté, nous avons vu récemment
des politiques de vaccination obligatoire (…) avoir un impact
positif sur les couvertures vaccinales non concernées par la mesure
impérative ».
La Covid n’est pas la variole !
Néanmoins, alors qu’en France tout particulièrement, la
gestion infantilisante de la crise a été beaucoup critiquée,
l’obligation vaccinale ne serait-elle pas une nouvelle attitude
paternaliste, consistant à totalement décrédibiliser les doutes de
chacun, qualifiés de « légitimes » par Vageesh Jain. Ces
doutes concernent non pas seulement l’efficacité des vaccins mais
la pertinence d’une vaccination de masse. François de Closets
remarque : « Si les Etats avaient laissé les citoyens libres
d’accepter ou de refuser l’injection, la menace variolique serait
toujours présente et la vaccination resterait indispensable. Mais
la nécessité de vacciner toute la population s’est vite imposée
entraînant l’obligation légale avec le résultat que l’on sait
». Cependant, peut-on raisonnablement comparer la Covid et la
variole ? Vageesh Jain relève : « Selon le Nuffield Council of
Bioethics, la vaccination obligatoire peut être justifiée pour les
maladies hautement contagieuses et graves. Mais bien que
contagieuse, la Covid-19 n’est pas classée par Public Health
England comme une maladie infectieuse d’une gravité élevée en
raison de son taux de mortalité relativement faible. La gravité de
la Covid est en effet fortement liée à l'âge (…). Le taux de
mortalité est estimé à 7,8 % chez les personnes de plus de 80 ans,
mais à seulement 0,0016 % chez les enfants de 9 ans et moins. Dans
une démocratie libérale, forcer la vaccination de millions de
citoyens jeunes et en bonne santé dont le risque face à la Covid-19
est très faible sera contesté sur le plan éthique »
conclut-il.
Peur et défiance, des conseillères tenaces
Ainsi, on le voit, le débat sur la vaccination obligatoire renvoie
aux réflexions éthiques générales sur la gestion de l’épidémie.
D’ailleurs, il est sous-tendu par le même sentiment de peur et de
défiance vis-à-vis de la population : c’est lui qui a conduit les
états à prendre des mesures particulièrement contraignantes pour
essayer (pas toujours avec succès) d’endiguer l’épidémie et c’est
lui qui aujourd’hui, en rappelant que la vaccination massive est la
seule façon de nous sortir du désastre actuel et en supposant
l’absence de solidarité spontanée et d’adhésion de la population,
qui pousse beaucoup à prôner l’obligation.
"L’obligation légale avec le résultat que l’on sait"
Le 23 janvier 2021
J'ai aimé cette phrase. J"aurais aimé que le "que l'on sait" soit détaillé. Que l'on autopsie les analyses rétrospectives. Parce que tout un chacun sait que la variole a été éradiquée. Peu savent à quel prix.
Mais cette phrase est un début.
Merci d'avoir publié un article aussi objectif. Ca devient si rare que ça se déguste.
Dominique Barbelet
La liberté est elle un choix ?
Le 23 janvier 2021
Tout comme le fumeur en connaissance de cause ou le grimpeur solo adrenaliné, chaque personne a le droit de refuser la vaccination au titre de la balance bénéfice/risque et tant que la science n’aura pas tranché, au nom de quoi devrons nous vacciner une population sans risques particuliers sans connaitre l’efficacité sur les variants et les effets à long terme ?
Dr Philippe Garcia
Demander aux plus âgés de mouiller un peu la chemise
Le 23 janvier 2021
On ne peut pas exiger des jeunes des efforts pour prévenir la santé des plus âgés (ce qui est largement fait au détriment de leur propre avenir) et ne pas demander aux plus âgés de mouiller un peu la chemise aussi. De fait ne pas rendre la vaccination obligatoire pour les seniors parait une aberration. Par contre les jeunes ont déjà fourni l'effort et n'ont pas forcément de bénéfices à la vaccination pourquoi les y obliger ? Ne pourrait-on pas rendre la vaccination obligatoire à partir d'un âge défini (40 ? 50 ans ? Selon les statistiques sur les formes graves et pour une prégnance vaccinales suffisante au regard de la pyramide des âges) et laisser les plus jeune choisir ?