Le jour où Macron a décidé de reprendre le pouvoir sur l’épidémie… et les épidémiologistes
Paris, le lundi 1er février 2021 – Une semaine de
revirements et d’atermoiements s’est achevée vendredi soir en
apothéose. L’annonce de la tenue d’un Conseil de défense surprise
semblait plus que jamais orienter la France vers un nouveau
confinement. Fallait-il redouter que l’exécutif discute de nouveaux
chiffres préoccupants sur la circulation des nouveaux variants du
SARS-CoV-2 ? Peu avant 21 h, l’annonce d’une intervention de Jean
Castex en direct de l’Elysée laissait perplexe : sans doute si une
fermeture du pays était actée, Emmanuel Macron aurait lui-même pris
la parole. Pourtant, l’urgence de l’allocution était un signal
fort. C’est une véritable surprise que préparait l’exécutif : le
choix de repousser le confinement et de concentrer nos forces sur
les mesures déjà en place (couvre-feu, port généralisé du masque,
protocoles sanitaires renforcés et contrôles aux
frontières…).
Un précédent en mai
Tout au long du week-end, les éditorialistes politiques ont tenté
d’éclairer les coulisses de cette décision inattendue. Il apparaît
tout d’abord clairement que la scission qui au sein du gouvernement
oppose les favorables aux mesures les plus strictes (Olivier Véran
à la Santé, Jean Castex à Matignon) à ceux qui se concentrent
plutôt sur les effets mortifères de ces dernières (entre autres
Bruno Lemaire à l’Economie et Jean-Michel Blanquer à l’Éducation)
s’est encore accentuée. Ainsi, Emmanuel Macron paraît avoir (en
tout cas temporairement) tranché clairement en faveur des seconds.
Mais au-delà, ce revirement apparaît surtout marquer une rupture
avec ce que certains nomment le pouvoir des blouses blanches. Ce
n’est certes pas la première fois que le Président de la République
s’émancipe des directions préconisées par le Conseil scientifique :
son choix d’annoncer la réouverture des écoles le 11 mai avait été
fait contre les préconisations des experts. Une nouvelle étape
semble avoir été franchie la semaine dernière.
Une méfiance grandissante envers les modélisations
Refuser la tutelle du Conseil scientifique ne signifie
nullement pour Emmanuel Macron renoncer complètement à une analyse
scientifique de la crise. Mais, le Président de la République prend
ses distances avec les interprétations qui lui sont transmises et
exige désormais de pouvoir recevoir lui-même les données brutes.
Ainsi, alors que de nombreux experts ont mis en avant des
modélisations inquiétantes concernant la diffusion du variant dit
britannique, qui pourrait être majoritaire fin février début mars
et entraîner une explosion des capacités hospitalières, le
Président de la République a préféré retenir les observations d’un
rapport, relevant que dans les pays sans couvre-feu la progression
de B1.1.7 apparaît plus rapide que dans ceux où ce dispositif est
en place (et notamment en France). Il faut dire que cette prudence
s’explique probablement également par les écueils des modélisations
antérieures. Qu’il s’agisse des prédictions catastrophistes du mois
de mars 2020 (400 000 morts !) ou des prévisions de cet automne,
elles ont finalement toutes été détrompées. On se souvient ainsi
qu’Emmanuel Macron au moment d’annoncer le second confinement avait
indiqué fataliste « Quoique nous fassions, nous aurons 9 000
patients en réanimation à la mi-novembre ». Or, la réalité
avait été bien plus favorable, suggérant clairement le caractère
exagéré des prévisions. Au-delà, d’une manière générale, le
Président de la République pourrait être attentif aux analyses qui
signalent que la dureté des mesures n’est pas nécessairement
associée à un meilleur contrôle de la circulation du virus. Cette
attitude d’Emmanuel Macron consistant à s’emparer lui-même des
informations épidémiques et médicales s’est également illustrée à
travers ses réunions la semaine dernière autour des vaccins (où il
a commenté les résultats du produit d’AstraZeneca concernant les
plus âgés) ou des anticorps monoclonaux.
Exploiter le plus possible les outils déjà en place
Au-delà de la distance prise avec les modélisations, le choix
d’Emmanuel Macron repose sur des indicateurs concernant l’épidémie
qui permettent de parier sur l’optimisme.
Ainsi, les derniers jours ont été marqués par une stabilité de
la majorité des indicateurs ou une hausse très limitée, tandis que
de nombreux pays d’Europe observent également une décrue (voir
notre article du jour sur l’Europe). D’ailleurs, Olivier Véran, qui
n’évite pas totalement une position en porte à faux ces derniers
jours, a confirmé que les analyses des eaux usées signalaient un
arrêt de la progression des contaminations. En outre, la décision
du Président de la République est très loin d’être celle d’un
laisser-faire. Le couvre-feu, les fermetures d’un très grand nombre
d’établissements et les restrictions diverses sont des outils que
le Président de la République souhaite exploiter le plus possible :
les contrôles hier soir sur les routes embouteillées à 18 h l’ont
d’ailleurs confirmé.
L’alliance plutôt que le paternalisme ?
Si ces sanctions considérées par certains comme aveugles et comme
une nouvelle manifestation de logiques arbitraires ne plaident pas
nécessairement dans ce sens, le revirement des pouvoirs publics
pourrait pourtant également sonner la fin de l’infantilisation.
Clairement, notamment dans son message posté sur Twitter, Emmanuel
Macron semble vouloir en effet reléguer le paternalisme sanitaire
pour une alliance avec les Français, leur affirmant « leur
confiance » de pouvoir avec eux éviter la catastrophe. Enfin,
ce pari de Macron est la confirmation du refus que le sanitaire
continue à primer sur l’économique et sur la santé mentale des
Français. A cet égard, l’abandon des objectifs chiffrés est
caractéristique d’une stratégie qui ne veut plus avoir les yeux
uniquement rivés sur les données des hôpitaux et des laboratoires,
mais également sur l’opinion et le moral des Français.
Reculer pour moins bien sauter
Bien sûr, pour la très grande majorité des médecins qui depuis
une semaine s’exprimaient dans les médias pour demander un
confinement en urgence, la déception a été majeure. Les
commentaires les plus âpres ont fusé. « Pour le gouvernement, la
priorité c’est l’école et les gens qui meurent, il s’en fiche »
a tancé l’épidémiologiste Catherine Hill. A plusieurs reprises, le
néphrologue Gilbert Deray, qui n’hésite pas à prôner la stratégie
du zéro Covid (où le confinement s’impose dès le moindre test
positif) a exprimé son désappointement. « Nous reconfinerons
plus tard lorsque la situation sera tellement grave que ce sera
obligatoire. Ça n'est pas reculer pour mieux sauter, c'est reculer
pour moins bien sauter » a-t-il ainsi prédit, affirmant par la
suite hier : « Les Français sont épuisés par un an de pandémie
et de destruction de l’économie et du tissu social. La seule
solution c’est un confinement total associé à une vaccination
massive. N’ayant pas les doses et pour éviter la mutinerie des
révoltés du confinement nous procrastinons ». D’aucuns
considèrent que le gouvernement refait la même erreur que dans les
premières heures de la campagne vaccinale, en s’exagérant
l’influence d’une minorité (les antivax hier, les opposants les
plus violents au confinement aujourd’hui) pour prendre ses
décisions.
La situation à l’hôpital inquiète
Si l’on ne peut exclure dans de tels messages, une amertume de voir
le pouvoir des experts désavoué, la crainte sincère d’un
dépassement de nos capacités hospitalières s’est également
exprimée. Sur Twitter, le patron de l’Agence régionale de Santé
d’Ile-de-France, Aurélien Rousseau a en effet rappelé «
Aujourd’hui nous avons en Ile de France plus de 600 personnes
avec la Covid en réa. Et un peu moins d’un millier avec une autre
pathologie nécessitant l’accueil en service de soins critique. Pour
comparer les évolutions, nous nous référons toujours aux capacités
initiales (1160). Le chiffre de patients covid monte tous les jours
et si nous ne le maitrisons pas nous devrons à nouveau déprogrammer
pour armer de nouveaux lits, car nous savons que nous aurons moins
de renforts venus du reste du pays. Mais les lits de réanimation ne
sont pas tout. La pression est très forte sur les lits de
médecine » décrit-il, rappelant qu’aucune annonce n’a été faite
parallèlement à celle de ne pas confiner pour accroître les moyens
dans les hôpitaux. En écho, l’infectiologue Karine Lacombe a évoqué
hier sur BFMTV un pari risqué de l’exécutif. Tous enfin insistent
sur l’épuisement des soignants des services de soins critiques.
Enfin, certains ont fait valoir que même avec des croissances
épidémiques aussi faibles (3 % en une semaine), certains pays
avaient fait le choix de confiner, suggérant que l’idée du
confinement préventif ne doit pas être trop vite rejetée.
Jusqu’ici tout va bien… même à l’hôpital
Mais ce discours, comme toujours depuis le début de la crise,
ce qui accroît la difficulté de sa gestion, n’est pas unanime.
Outre le fait que le choix inattendu d’Emmanuel Macron a délié des
langues et conduit un nombre croissant d’observateurs à présenter
publiquement leurs doutes sur la stratégie du confinement, certains
médecins ont nuancé le sentiment d’urgence. Le professeur Bruno
Megarbane, vendredi soir, témoignait que la situation dans son
service de réanimation lui permettait de considérer qu’il était
tout à fait possible de se donner encore du temps, pour mesurer si
les décisions déjà prises pourraient suffire. Dans les colonnes du
Figaro, l’urgentiste Gérard Kierzeck assure pour sa part : «
Nous ne sommes pas dépassés par le virus, de même que nous ne
l’avons jamais été. Nous n’avons jamais été dans une situation,
hospitalière notamment, de débordement avec des refus d’admissions,
des patients manquant d’oxygène ou encore des gens faisant la queue
aux urgences ». Il a ensuite salué la décision «
courageuse » du gouvernement.
Face à l’opinion, un pari risqué
Dans cette querelle, où Emmanuel Macron a joué un rôle d’arbitre,
le poids des opinions publiques est sans doute premier. Cependant,
là encore le pari est risqué. En effet, l’opinion pourrait
facilement reprocher au gouvernement de ne pas avoir su prendre la
décision de confiner si la situation sanitaire se dégradait
brusquement. Surtout, après les montagnes russes émotionnelles de
la semaine dernière, la décision d’une fermeture pourrait être
rejetée avec plus de virulence. Mais, gouverner, c’est gouverner le
présent et pas le futur et certains considéreront qu’il ne peut
être reproché pour une fois au Président de la République d’avoir
joué son rôle.
Une page se tourne. Pour décider, il faut être à la fois prudent et logique. On sait maintenant que confinement et couvre-feu ont un effet limité sur l'expansion de la maladie. Le grand espoir suscité par les vaccins est terni par les retards rencontrés pour les mettre en oeuvre et par leur "effet retard" pour freiner la pandémie. On sait maintenant qu'il va nous falloir vivre avec le virus pendant de longs mois. L'apport de l'amélioration des soins et de la prévention nous fait espérer de rester "en plateau" si nous faisons un gros effort dans le respect des mesures barrière. Quoiqu'en disent les pessimistes, l'éclaircie est bien en vue; à condition de ne pas tirer à hue et à dia.
Jean-Pierre Moreau (Biologiste en retraite)
Retour de bâton...
Le 07 février 2021
Très bon article, bien équilibré, cela fait du bien. Que toute la réalité qui nous entoure ne puisse pas être traduite en équations chiffrées, c'est la conclusion à laquelle aboutissent les physiciens fondamentaux de l'information comme Klein, Damour ou Guillemant. Hélas la mère de toutes les sciences demeure étrangère à nos grands parleurs covidiens. Coup de semonce terrible contre le transhumanisme rampant. Passionnant.
Dr François-Marie Michaut
Principe de précaution paralysant
Le 07 février 2021
Si on demande à des médecins ce qu’il faut faire contre la pandémie ils vont voter confinement. Si on demande à des spécialistes de la sécurité routière comment supprimer les accidents ils conseilleront l’arrêt total du trafic routier. Imparable comme raisonnement. Heureusement que les politiques ont leur propre capacité de jugement sinon on marcherait tous à pied.