Cancer du côlon : les raisons des disparités ethniques de survie à 5 ans

Avec près de 100 000 nouveaux cas par an, le cancer du côlon (CC) se situe au 4e rang en terme de fréquence et au 2e rang en terme de mortalité aux USA. Son incidence est plus élevée et sa survie plus faible chez les Noirs. Plusieurs explications sont avancées : moindre dépistage, comorbidités plus importantes, présentation différente du CC, prise en charge thérapeutique non identique, statut socio-économique dissemblable…De fait, parmi l’ensemble de la population « couverte » par Medicare, les tables de survie à 5 ans révèlent une disparité de 3,6 %, à l’âge de 65 ans, en défaveur de la population noire ; cette disparité tendant de plus à s’accroître en cas de maladie grave comme le CC.

Analyse sur près de 90 000 patients souffrant d’un cancer du côlon

JH Silber et ses collègues ont cherché à analyser la nature et les causes de cette inégalité. Ils ont tenté de préciser si elle était le fait d’un mode de présentation ou d’une prise en charge thérapeutique différentes entre Blancs et Noirs. Ils ont également essayé de quantifier le rôle des facteurs socio-économiques et de voir la tendance évolutive en comparant 2 périodes allant de 1991 à 1995 et de 1999 à 2005. Les informations ont été tirées des banques de données informatisées de Medicare sur une période allant de 1991 à 2005. Au total 88 858 patients, âgés de 65 ans ou plus, chez qui un diagnostic de CC avait été porté récemment et avec un suivi minimum de 4 ans ont été identifiés. Ils ont été classés en fonction de l’ethnie (Noirs vs Blancs hispaniques ou non), de leurs comorbidités, des caractéristiques propres de la tumeur colique (stade, grade), du nombre de ganglions prélevés en peropératoire et du nombre de ganglions positifs, du risque calculé de récidive.

Les informations concernant les différentes modalités thérapeutiques mises en œuvre ont également été recueillies. Afin de permettre des comparaisons, l’ensemble de la population noire porteuse de CC a été appariée à 3 groupes de patients blancs suivant des critères démographiques (âge, sexe, année de diagnostic, lieu de prise en charge…), le type de présentation du cancer (stade, grade, nombre de ganglions envahis, co morbidités…) et enfin suivant les divers traitements utilisés, en précisant les modalités en cas de recours à une chimiothérapie.

Davantage de comorbidités chez les Noirs et une prise en charge moins « active »

Un collectif de 7 677 patients noirs, âgés de 65 ans ou plus, dont le diagnostic de CC avait été porté entre 1991 et 2005 et le suivi assuré jusqu' au 3 Décembre 2009 a donc été apparié à 3 ensembles de patients blancs, de même effectif. On notait 25,2 % de diabétiques chez les Noirs face à 17,1 % chez les Blancs. Il a été également retrouvé des différences de prise en charge : 16,7 % des patients noirs n’ont pas eu de traitement actif vs 9,3 % des malades appariés blancs (p < 0,001) ; 14,7 % des Noirs ont reçu, en cas de chimiothérapie, une association comportant de la fluoropyrimidine face à 21,7 % des Blancs (p < 0,001). Le recours à une chimiothérapie adjuvante a été moins fréquent pour les Noirs (19,9 % vs 26,5 %, p < 0,001) ; 61,1 % des cancers chez les Noirs ont été traités par chirurgie exclusive vs 58,0 % chez les Blancs (p < 0,001).

Différence de survie particulièrement nette pour les stades III

A 5 ans, la différence absolue de survie entre les 2 populations s’établit globalement à 9,9 % (intervalle de confiance à 95 % [IC95] de 8,3 à 11,4 %, p < 0,001). Elle se maintient non modifiée entre 1991 et 2005. Après appariement en fonction du mode de présentation (caractéristiques tumorales, comorbidité..), elle passe de 9,9 % à 4,9 % (IC95 : 3,6- 6,1 %) tout en restant très significative (p < 0,001). L’appariement en fonction des modalités diverses de prise en charge la fait ressortir à 4,3 % (IC95 : 2,9- 5,5 % ; p < 0,001). On a pu calculer que les différences de traitement représentaient 0,6 % des 9,9 % de la disparité globale de survie à 5 ans. Quoique de façon non significative, la disparité globale de survie a augmenté au fil des années, passant de 8,5 % de 1991 à 1998 à 11,5 % entre 1999-2005 (Hazard Ratio, HR, de 1,10; IC95 : 0,98- 1,24; p = 0,093).

En fonction du stade du CC, les auteurs n’ont mis en évidence aucune différence de survie en cas de présentation stade I et II. En cas de stade IV, la survie a été naturellement plus courte dans les 2 populations, avec, là encore, un léger avantage mais significatif pour les Blancs. C’est dans les stades III que les différences en matière de traitement apparaissent les plus notables. Dans ce groupe, 3,3 % des patients noirs n’ont reçu aucun traitement vs 1,6 % des Blancs (p = 0,002). Moins de patients noirs ont eu un double traitement, associant chirurgie et chimiothérapie (42,11 % face à 55,0 % ; p < 0,001). La différence de survie à 5 ans est conséquente, 41,2 % vs 43,7 % (p = 0,013).

Le statut socio-économique n’explique pas les disparités

Un autre élément pouvant expliquer la disparité de survie entre Noirs et Blancs aurait pu résider dans une différence de qualité des établissements de santé ayant pris en charge les patients. En fait, après analyse, cette hypothèse ne semble pas fondée, 23,0 % de la population noire ayant été prise en charge dans des hôpitaux universitaires contre seulement 12,6 % de la population blanche. Une dernière explication aurait pu se trouver dans la différence des conditions socio-économiques. De fait, la survie globale a été corrélée au statut socio-économique, apprécié par le revenu moyen dans l’entourage géographique des patients.

Toutefois, après ajustement, il n’est décelé aucune différence significative entre Blancs et Noirs de même condition, le HR s’établissant à 1,04 (IC95 : 0,98- 1,11 ; p = 0,167).

Cette étude confirme donc l’existence d’une différence notable de survie à 5 ans entre populations noire et blanche en cas de CC, différence qui, loin de s’atténuer, a augmenté entre les 2 périodes allant de 1991 à 1998 et de 1999 à 2005. L’essentiel de cette disparité tient à un état de santé plus préoccupant des sujets noirs lors du diagnostic, avec un cancer d’emblée à un stase plus avancé et des comorbidités plus graves. Toutefois, notamment en cas de stade III, la différence considérable de prise en charge thérapeutique, au détriment de la population noire joue probablement un rôle. Un des points forts de ce travail a résidé dans le triple appariement entre les 2 populations noire et blanche et d’effectifs considérables, 81 181 patients ayant participé à l’étude, dont 7 677 noirs. A l’inverse, on se doit de signaler que seuls des patients relevant de Medicare ont été inclus, qu’ils résidaient dans des zones géographiques limitées et que les données issues des bases informatiques des registres de Medicare n’ont pas fait l’objet de vérifications.

En conclusion, la majeure partie de la différence observée entre populations noire et blanche dans la survie à 5 ans du CC tient à l’état de santé plus altéré des noirs lors du diagnostic, dont témoigne un cancer découvert à un stade plus avancé de la maladie néoplasique et la présence de plus de co-morbidités. Une différence dans la prise en charge thérapeutique intervient également, notamment pour les cancers de stade III et, à un degré moindre, pour ceux de stade IV.

Dr Pierre Margent

Référence
Silber JH et coll. : Racial Disparities in Colon Cancer Survival. A matched cohort study. Ann Intern Med., 2014; 161: 845- 854.

Copyright © http://www.jim.fr

Réagir

Vos réactions (1)

  • Le lieu de prise en charge au premier plan

    Le 17 janvier 2015

    La différence qui semble la plus importante dans ce qui est rapportė ici est le lieu de prise en charge beaucoup plus de patients noirs dans les hopitaux universitaires, on peut imaginer moins de moyens et donc moins de chimio...les auteurs se sont ils penchés sur la question ?
    Dr Anne Meunier

Réagir à cet article