
Pragmatisme
Dans ce contexte, le pragmatisme s’est peu à peu imposé dans les discours des experts en tabacologie et addiction. Évitant de considérer la vapoteuse comme un outil miracle, ils ont néanmoins invité à observer les résultats positifs obtenus chez des fumeurs fortement dépendants qui jusqu’alors avaient été confrontés à des échecs à répétition dans toutes leurs tentatives de sevrage. Ils soulignent par ailleurs que face à la nocivité avérée des composants de la cigarette il est difficile d’opposer des spéculations concernant la vapoteuse. Telles sont par exemple les positions exprimées par Bernard Basset, spécialiste en santé publique, président d’Addictions France et Amine Benyamina, psychiatre addictologue, président de la Fédération française d’addictologie dans une tribune récemment publiée dans le Monde.Des preuves insuffisantes
D’abord frileuses, les autorités sanitaires françaises se sont peu à peu converties à cette attitude, comme l’ont illustré des avis de la Haute autorité de santé (HAS) et du Haut conseil de la Santé publique (HCSP), qui en synthèse ne veulent pas décourager les fumeurs ayant fait de la vapoteuse leur méthode de sevrage. Cependant, les alertes lancées en particulier aux Etats-Unis concernant l’usage de plus en plus fréquent de la vapoteuse chez des adolescents non fumeurs (tendance que l’on retrouve signalée en France dans le dernier bulletin de l’Office français des drogues et des toxicomanies), associées à une épidémie de pneumopathies outre Atlantique (liée à des détournements de la vapoteuse) semblent avoir ravivé les craintes. Aussi, dans son dernier avis, le HCSP conclut que « les connaissances fondées sur les preuves sont insuffisantes pour proposer les systèmes électroniques de délivrance de la nicotine (SEDEN) comme aides au sevrage tabagique dans la prise en charge des fumeurs par les professionnels de santé ». Lorsqu’ils conseillent un fumeur souhaitant se sevrer du tabac, les médecins doivent donc privilégier des substituts nicotiniques classiques insiste encore le HCSP, qui n’a cependant formulé aucune « interdiction ».Rarement en première intention
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Réduction des risques : passer du consensus conceptuel aux actes
Tant cette position du HCSP que la pratique majoritaire des professionnels de santé contrastent avec le pragmatisme et même l’enthousiasme constatés en Grande-Bretagne, où récemment les autorités sanitaires ont préconisé que les SEDEN puissent être prescrits comme substituts nicotiniques. Bernard Basset et Amine Benyamina, qui estiment que les conditions de diffusion de la cigarette électronique (avec notamment des liens fréquents avec les industriels du tabac) ne sont pas étrangères à cette attitude y voient par ailleurs une nouvelle illustration de la frilosité des praticiens et des autorités sanitaires françaises vis-à-vis de la politique de réduction des risques. « L’avis du HCSP pose à nouveau la question, toujours complexe, de la réduction des risques et des dommages. Celle-ci fait désormais consensus en tant que concept mais qui n’a pas toujours sa traduction dans les usages des personnes et dans la pratique des professionnels ; sans oublier le regard de la société qui se prête à toutes les prises de position politiques. Nous connaissons les effets positifs de la politique de réduction des risques pour les usagers de drogues par voie intraveineuse (et pour le crack), mais pour autant, nous constatons qu’il est toujours compliqué d’offrir cette aide efficace à ceux qui en ont besoin. La réflexion sur le vapotage s’inscrit dans cette dualité de la réduction des risques et des dommages, entre la certitude des dangers du tabac et la crainte d’effets non connus à ce jour. Le vapotage, les salles de consommation à moindre risque, la réduction des risques et des dommages causés par l’alcool sont autant de sujets qui mériteraient une réflexion d’ensemble pour sécuriser les pratiques des professionnels et, surtout, aider les usagers. Le pragmatisme doit être la seule voie à suivre, loin des idéologies et de la recherche de profits. C’est l’enjeu actuel pour la puissance publique, les acteurs de santé et les usagers, mais l’avis du HCSP ne contribue pas à l’affronter » écrivent-ils.Aurélie Haroche