Exclusif : la majorité des professionnels ne recommandent pas la vapoteuse pour le sevrage tabagique

Paris, le mardi 1er février 2022 – Depuis son arrivée sur les marchés occidentaux, la vapoteuse (également appelée cigarette électronique) en tant qu’aide au sevrage tabagique suscite une certaine circonspection. Alors que certains n’hésitent pas à la considérer comme un outil révolutionnaire pour atteindre un objectif thérapeutique très difficile, d’autres mettent en doute sa supériorité par rapport aux substituts nicotiniques bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché (patch, gomme, inhalateur, pastille) et s’inquiètent de son éventuelle nocivité. Sur ces différents points, les données contrastées de la littérature scientifique ne permettent pas de trancher le débat.

Pragmatisme

Dans ce contexte, le pragmatisme s’est peu à peu imposé dans les discours des experts en tabacologie et addiction. Évitant de considérer la vapoteuse comme un outil miracle, ils ont néanmoins invité à observer les résultats positifs obtenus chez des fumeurs fortement dépendants qui jusqu’alors avaient été confrontés à des échecs à répétition dans toutes leurs tentatives de sevrage. Ils soulignent par ailleurs que face à la nocivité avérée des composants de la cigarette il est difficile d’opposer des spéculations concernant la vapoteuse. Telles sont par exemple les positions exprimées par Bernard Basset, spécialiste en santé publique, président d’Addictions France et Amine Benyamina, psychiatre addictologue, président de la Fédération française d’addictologie dans une tribune récemment publiée dans le Monde.

Des preuves insuffisantes

D’abord frileuses, les autorités sanitaires françaises se sont peu à peu converties à cette attitude, comme l’ont illustré des avis de la Haute autorité de santé (HAS) et du Haut conseil de la Santé publique (HCSP), qui en synthèse ne veulent pas décourager les fumeurs ayant fait de la vapoteuse leur méthode de sevrage. Cependant, les alertes lancées en particulier aux Etats-Unis concernant l’usage de plus en plus fréquent de la vapoteuse chez des adolescents non fumeurs (tendance que l’on retrouve signalée en France dans le dernier bulletin de l’Office français des drogues et des toxicomanies), associées à une épidémie de pneumopathies outre Atlantique (liée à des détournements de la vapoteuse) semblent avoir ravivé les craintes. Aussi, dans son dernier avis, le HCSP conclut que « les connaissances fondées sur les preuves sont insuffisantes pour proposer les systèmes électroniques de délivrance de la nicotine (SEDEN) comme aides au sevrage tabagique dans la prise en charge des fumeurs par les professionnels de santé ». Lorsqu’ils conseillent un fumeur souhaitant se sevrer du tabac, les médecins doivent donc privilégier des substituts nicotiniques classiques insiste encore le HCSP, qui n’a cependant formulé aucune « interdiction ».

Rarement en première intention

Cette position qui a été beaucoup regrettée par certains tabacologues, tels Bernard Basset et Amine Benyamina, mais également par le professeur Bertrand Dautzenberg semble pourtant refléter la pratique majoritaire des professionnels de santé.

Ainsi, un sondage réalisé sur notre site du 10 au 31 janvier signale en effet qu’une majorité de médecins, pharmaciens et infirmiers (42 %) ne recommandent pas la cigarette électronique dans le sevrage tabagique.


  Sondage réalisé sur le site JIM.fr du 10 au 30 janvier 2022

Cette proportion n’est guère différente de celle observée en 2015 date à laquelle nos lecteurs étaient 48 % à indiquer qu’ils ne conseillaient pas cette méthode de sevrage, signe qu’il n’y a pas eu d’engouement majeur des praticiens. Si ces derniers acceptent d’envisager le recours à la vapoteuse, c’est en cas d’échecs d’autres tentatives de sevrage (20 %). Pour ceux qui pourraient en faire une stratégie de première intention, c’est en association avec d’autres substituts (16 %), tandis que la même proportion attend des patients un abandon total du tabac auparavant. On notera une différence assez marquée chez les pharmaciens qui sont plus fréquemment réticents à l’idée de recommander la cigarette électronique que les autres professionnels (53 % vs 40 % chez les médecins et 45 % chez les infirmières), ce qui s’explique peut-être (penseront les mauvaises langue) par le fait que leurs officines vendent des substituts et non des vapoteuses. Enfin, 7 % des personnes ayant participé au sondage affichent leur indécision, face à une question qui relève il est vrai fréquemment du cas par cas, tandis que les zones d’ombre qui subsistent sur l’efficacité réelle de la cigarette électronique et son éventuelle dangerosité contribuent à cette incertitude.

Réduction des risques : passer du consensus conceptuel aux actes

Tant cette position du HCSP que la pratique majoritaire des professionnels de santé contrastent avec le pragmatisme et même l’enthousiasme constatés en Grande-Bretagne, où récemment les autorités sanitaires ont préconisé que les SEDEN puissent être prescrits comme substituts nicotiniques. Bernard Basset et Amine Benyamina, qui estiment que les conditions de diffusion de la cigarette électronique (avec notamment des liens fréquents avec les industriels du tabac) ne sont pas étrangères à cette attitude y voient par ailleurs une nouvelle illustration de la frilosité des praticiens et des autorités sanitaires françaises vis-à-vis de la politique de réduction des risques. « L’avis du HCSP pose à nouveau la question, toujours complexe, de la réduction des risques et des dommages. Celle-ci fait désormais consensus en tant que concept mais qui n’a pas toujours sa traduction dans les usages des personnes et dans la pratique des professionnels ; sans oublier le regard de la société qui se prête à toutes les prises de position politiques. Nous connaissons les effets positifs de la politique de réduction des risques pour les usagers de drogues par voie intraveineuse (et pour le crack), mais pour autant, nous constatons qu’il est toujours compliqué d’offrir cette aide efficace à ceux qui en ont besoin. La réflexion sur le vapotage s’inscrit dans cette dualité de la réduction des risques et des dommages, entre la certitude des dangers du tabac et la crainte d’effets non connus à ce jour. Le vapotage, les salles de consommation à moindre risque, la réduction des risques et des dommages causés par l’alcool sont autant de sujets qui mériteraient une réflexion d’ensemble pour sécuriser les pratiques des professionnels et, surtout, aider les usagers. Le pragmatisme doit être la seule voie à suivre, loin des idéologies et de la recherche de profits. C’est l’enjeu actuel pour la puissance publique, les acteurs de santé et les usagers, mais l’avis du HCSP ne contribue pas à l’affronter » écrivent-ils.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (7)

  • La majorité recommande le vapotage

    Le 01 février 2022

    Le titre est une erreur tout comme l'interprétation des résultats: 56% des professionnels (donc la majorité) recommandent la vapote ... sous conditions.

    Dr Serge Rouchet

  • Expérience personnelle

    Le 02 février 2022

    Je ne suis pas une spécialiste du sevrage tabagique et j'ai moi-même arrêté mon addiction terrible au tabac par conviction et sans problème majeur il y a longtemps...j'ai dans mon entourage 3 personnes de + de 60 ans, fumeurs invétérés, qui ont finalement abandonné la cigarette au profit du vapotage, et l'une d'elle a finalement tout arrêté. Pas si mal comme résultat!

    Dr Astrid Wilk

  • Le vapotage fait recette chez les professionnels santé

    Le 06 février 2022

    52% des professionnels recommandent d’une façon ou d’une autre le vapotage contrairement aux recommandations non fondées sur les articles scientifiques pris en compte de l’avis du HCSP.
    Sur mes 100 derniers fumeurs vus en tabacologie, 42 n’ont pas eu de vape, 54 association vape et substituts nicotiniques et 4 que vape. Tous avaient l’objectif d’être sans tabac dans le mois.

    Ma pratique pragmatique donne étonnement presque les mêmes chiffres que le sondage du JIM. L’ajout de la vape aux substituts nicotiniques permet de varier le menu d’apport de la nicotine non fumée et de faciliter le passage à la nicotine non fumée et d’ainsi faire de l’arrêt un plaisir et non une souffrance . Quand la dernière cigarette est arrêtée et qu’il n’y a plus de shoot de nicotine le nombre de récepteurs diminue de 1% par jour et trois mois plus tard la plupart des fumeurs sont libérés de la nicotine. L’important, même si on ne veut aider un fumeur avec la vape, c’est de ne pas nuire au fumeur en la déconseillant.

    Pr Bertrand Dautzenberg

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