
Paris, le samedi 13 juin 2020 - Le jour où la France s’installait dans un confinement décidé pour l’ensemble de son territoire et de sa population, le professeur Jean-François Toussaint directeur de l’Institut de recherche bio-médicale et d’épidémiologique du sport (IRMES) s’inquiétait dans Le Monde : « Si nous nous épuisons dès la première alerte, comment réagirons-nous lorsque les grandes crises annoncées par l’OMS pour le mitan du siècle surviendront ? En tant qu’espèce, sommes-nous à ce point affaiblis pour ne plus avoir d’option que de jeter nos dernières forces dans une bataille encore modeste au regard des combats passés et des guerres à venir ». Dans cette tribune publiée par Le Monde le 17 mars, le praticien signale que si des zones d’ombre persistent autour de SARS-CoV-2, certains éléments permettent déjà d’affiner les décisions publiques. Il souligne ainsi d’abord que la dynamique de l’épidémie est déjà connue, ainsi que le fait que le virus affecte le plus gravement les plus âgés. Ces données essentielles ne seront cependant pas prises en compte pour affiner les stratégies de lutte, les gouvernements du monde entier (et le notre en particulier) préférant pour la plupart persister à imposer un confinement strict et sans nuance en fonction des âges et des territoires.
Aujourd’hui, le décalage entre la réalité de l’épidémie et les discours s’observe encore dans une certaine mesure au sein de l’Organisation mondiale de la Santé qui en se fondant sur l’accroissement constaté des contaminations (grâce notamment à l’augmentation du nombre de tests) s’inquiète d’une aggravation continue de l’épidémie, même si la courbe des décès connaît une réduction de 50 % par rapport à la mi-avril, comme le note également le professeur Toussaint. En Europe, l’heure des premiers bilans semble débuter, une étape jugée essentielle pour se préparer aux prochaines épidémies qu’elles soient liées ou non à SARS-CoV-2. Nous débutons cet exercice périlleux avec le professeur Jean-François Toussaint.
JIM.fr : Sur la gestion de l’épidémie, estimez-vous qu’avec
les moyens et les informations dont on disposait début mars il
aurait été médicalement (et politiquement possible) de ne pas
décider d’un confinement généralisé (pour éviter un désastre
économique et social) ?
Pr Jean-François Toussaint - Il existe de multiples niveaux
de lecture pour appréhender les tensions et les contraintes d’une
épidémie qui résulte de l’interaction de trois facteurs : un virus
; une espèce ; un contexte. Tous les niveaux sont pertinents pour
analyser la situation : la perturbation d’une cellule pulmonaire
par une particule d’ARN, le conflit entre les défenses d’un
organisme humain et les milliards de virus qui l’agressent.
L’expansion pandémique face à des systèmes de soins plus ou moins
fragiles, ou les luttes d’influence entre membres d’une institution
internationale de santé publique, l’OMS. Tous opèrent en même
temps. Politiquement, c’est la difficile question de la décision en
contexte d’incertitude. Cela reste une affaire d’appréciation mais
le choix, bon ou mauvais, finit toujours par être fait.
Deux mois et demi d’erreur
Bien sûr, début mars, quand nous sommes confrontés à la Chine triomphante affirmant que le confinement lui a permis de contrôler l’épidémie et à l’Italie qui sonne l’alerte, la situation est complexe et s’orienter vers un confinement global pouvait apparaitre légitime. Mais ce qui frappe quand on observe le développement de la crise, c’est un défaut d’adaptation majeur. Les gouvernements n’ont pas été capables de remettre leurs choix en question, chaque jour, chaque semaine. Ils n’ont pas été en mesure de se demander régulièrement : va-t-on dans la bonne direction ? Ce qui est difficilement compréhensible c’est que les décideurs n’aient pas perçu plus rapidement les effets délétères massifs de leur option pour en tirer des décisions adaptées. Un choix s’est imposé, pourquoi pas, mais sa prolongation constitue ensuite deux mois et demi d’erreur. Nous avons reçu l’information (qui progressera extraordinairement vite) mais nous avons oublié les bases : « Si brillante que soit votre stratégie, commencez par regarder les faits » répétait Churchill.Les critères sont en effet très tôt disponibles. Dès février, chacun peut analyser la situation des trente provinces chinoises qui ont affronté l’épidémie après le Hubei. Or on y voit déjà la dynamique de la pandémie. Ma conviction est que dès le début du mois d’avril, il était possible, en s’appuyant sur ces données réelles, d’adopter une autre stratégie. Il apparaît très clairement, dans les données chinoises et italiennes, que le virus affecte très majoritairement les plus âgés. Si l’on avait voulu se concentrer sur ces faits, et non sur des modélisations qui se révèleront plus que douteuses, il aurait été possible d’agir différemment. Ainsi, aurait-on pu à l’instar de l’Allemagne, cibler les mesures et choisir notamment de ne confiner que les clusters.
Le SARS-CoV-2 n’est pas Ebola
Sans compter que la préparation de l’épidémie elle-même n’a pas
été à la hauteur. Doit-on ici rappeler qu’en février, alors que
l’Allemagne multiplie ses lits de réanimation et ses capacités de
test, nous vivons l’affaire Griveaux, la ministre chargée de
préparer la France à l’épidémie quittant son ministère pour une
situation politique ubuesque.
JIM.fr : Comment expliquez-vous qu’en dépit des données
disponibles, des choix différents aient été préférés ?
Pr Jean-François Toussaint - Sans doute, l’analyse
géopolitique est-elle intéressante. Il faut s’intéresser aux
compétitions qui existent au sein des instances internationales et
notamment à l’influence grandissante de la Chine au sein de
l’Organisation mondiale de la Santé. Il me semble que l’OMS a une
très grande responsabilité en n’ayant pas su établir la priorité,
en ayant continué inlassablement à répéter qu’il s’agissait d’une
menace pour l’humanité. Or, on constate rapidement que cette
maladie infectieuse, certes plus contagieuse que la précédente, tue
principalement les sujets les plus âgés des pays européens et
nord-américains. Or, elle conduira, par le biais de confinements
aveugles, à la suspension de campagnes de vaccination en Afrique et
de soutien alimentaire en Inde. On peut se demander sur quel
critère l’OMS a opéré de tels choix. A-t-elle voulu séduire le
gouvernement chinois, qui de son côté convoite les marchés
africains pour nourrir sa population ?
Et puis vint la panique. Etrangement, c’est la science qui aura le
plus contribué à ressusciter le Grand Pan. Au cœur du combat, le
dieu Pan fait perdre au guerrier le sens de l’humanité, le lien
avec ceux qui défendent la même cause. Il ne reconnait plus les
siens. Sa force, et sa faiblesse, se retournent alors contre eux.
Elle entrainera les dégâts sanitaires collatéraux (patients
cardiaques, cancéreux ou psychiatriques) et la perte d’une grande
part d’espoir pour les prochaines générations. Cette panique a été
chaque jour nourrie par des discours ahurissants. Qu’on prenne pour
seul exemple la comparaison avec la peste de 1347 par le directeur
général de la santé. Mais la peste c’est un tiers de la population
européenne qui disparaît ! À l’échelle mondiale, une peste noire
équivalente tuerait 2,5 milliards de personnes. Nous sommes très
loin de l’épidémie actuelle. Il y a eu une totale incompréhension
sur les forces en présence. Nous n’étions pas en situation de
guerre (le mot lui-même, théâtralisé, a fait frémir ceux qui
avaient réellement connu les précédentes). Ce fut au contraire la
victoire de nouvelles croyances, auxquelles les gouvernements se
sont fiés, considérant que les simulateurs nous donnaient les clefs
de l’avenir. Ils n’auront finalement été que le bras armé de la
collapsologie, en parvenant à faire cesser toute l’activité du
monde, là où personne n’avait su le faire avec les arguments de
l’avenir climatique.
JIM.fr : Quel est justement votre regard sur les modélisations
?
Pr Jean-François Toussaint - Leurs insuffisances sont
nombreuses. Les modélisations qui ont été retenues ne prenaient pas
en compte la possibilité d’immunité croisée, ni le rôle de la
température ou de la densité des populations âgées, etc. Cela
conditionne pourtant de multiples options. Les modèles se fondent
aussi sur un pré-supposé qui verrait la contagiosité (le taux de
reproduction, R0) répondre instantanément et presque exclusivement
à la seule volonté humaine : celle de confiner ou pas une
population entière.
Ces modélisations ont été érigées en vérité absolue alors
qu’elles se basent sur des modèles datés. L’épidémie est un système
complexe non linéaire, avec des évolutions sub-exponentielles, de
type fractal. Or le système SIR utilisé est extrêmement simpliste,
comme le montre Laurent Toubiana. Il a donc abouti à des
estimations hautes de 2,5 millions de morts aux USA, de plus de 500
000 au Royaume-Uni et en France et de 70 000 décès en Suède. Il se
trouve que ce pays, qui n’a pas confiné, termine cette phase avec
moins de 5000 décès au compteur. Où sont les 65000 décès «
manquants » ? Ont-ils été épargnés par le non-confinement ?
Projeter la peur pour dire ensuite : ce qui ne s’est pas passé
résulte d’une conduite parfaitement maitrisée, revient à dire « je
chevauche le dragon ; il obéit à mes ordres » lorsqu’il est mort.
L’épidémie est parait-il « sous contrôle » en France ; le mythe de
Descartes nous aveugle à nouveau.
Les publications dans Science ou Nature des résultats de ces
modélisations - sans doute parce que les éditorialistes de ces
journaux mènent aussi une bataille politique contre
l’administration américaine actuelle – est inquiétante, car, comme
dans l’affaire du Lancet, ils se sont affranchis de leurs propres
règles et de la rigueur scientifique indispensable et, ce faisant,
ont souscrit aux méthodes du camp opposé. Dans ce contexte, on ne
peut que déplorer une défaite non de la science mais de certaines
institutions scientifiques.
JIM.fr : L’utilisation par les politiques de ces chiffres est
probablement également à interroger. Que pensez-vous de leur
attitude en général ?
Pr Jean-François Toussaint - Les exemples à analyser sont
légions. Comment peut-on par exemple justifier la tenue du premier
tour des municipales et dès le lendemain un confinement généralisé
strict. Sur quelle construction théorique et quelles preuves
scientifiques peut-on oser le faire ? Le poids du conseil
scientifique sera à analyser, dirigé par un spécialiste du virus
Ebola alors que le SARS-CoV-2 ne tue pas 50% des contaminés comme
c’est le cas d’Ebola.
Je pense également au discours tenu sur la pratique sportive,
fustigée avec des mots stupides (un comportement de « suicide
collectif » dit JF Delfraissy le 7 avril). Il faut là encore
rappeler que la sédentarité est, avec l’obésité, l’une des clés de
lecture majeures de l’épidémie, constituant plus de 80% des
facteurs de risque en réanimation. Ceux qui continuaient à courir
avaient au contraire les meilleures raisons de se protéger par une
pratique qui constitue l’une des seules méthodes préventives face
au virus. Le président du conseil scientifique ne faisait que
mettre en avant là encore ses a-priori déplorables et non l’analyse
des faits.
L’incohérence quant à la fermeture des plages et des parcs naturels
a été tout aussi manifeste (deux membres du conseil n’ont cessé de
rappeler qu’on augmentait la contagion en hiver dans des espaces
confinés). Sur quels éléments de preuve peut-on parvenir à laisser
fermer les endroits où l’on a le moins de chance de se contaminer ?
Et, s’il ne l’approuvait pas, pourquoi le conseil scientifique
n’a-t-il pas publié de résolution appelant à leur réouverture ?
Était-il à ce point faible, influençable ou bâillonné ?
JIM.fr : Comme autre exemple des dérives du discours, il y a
sans doute également celui tenu sur les masques. Qu’en
pensez-vous?
Pr Jean-François Toussaint - La communication autour des
masques évoque une misère intellectuelle. Pourquoi n’avoir pas tenu
un discours de vérité et affiché clairement : nous avons tant de
masques, nous les réservons aux personnes prioritaires, mais vous
pouvez vous protéger avec d’autres moyens, bricolés certes mais
utiles à réduire une partie de la transmission virale. Si les
choses avaient été simplement dites telles qu’elles étaient, tant
sur le plan épidémiologique que politique, la situation aurait été
mieux comprise et mieux acceptée. Plusieurs gouvernements (en
Nouvelle Zélande, en Suède) ont su le faire avec succès. Mais la
communication était ici saturée par des messages de mort. Expliquer
fut impossible : le discours de la peur a été trop martelé. Jamais
on n’a entendu dire : « Nous sommes enfin de l’autre côté, en train
de redescendre la vague ; faites encore attention mais reprenez
espoir ». Les Français auraient applaudi à ce discours et auraient
compris la part d’effort qui leur revenait encore. Mais le mensonge
a terni désormais toute évocation de l’avenir.
JIM.fr : Quel est votre avis par ailleurs sur l’organisation des
soins ?
Pr Jean-François Toussaint - Entretenue par le discours de
panique, il y eut cette idée que tout devait s’arrêter ; les soins
liés aux deux grandes causes de mortalité (cardiologiques et
cancérologiques) ont été fortement réduits. L’augmentation des lits
de réanimation était indispensable et elle a été remarquable. Mais
il aurait été utile d’organiser plus de transferts, y compris vers
le privé. Certaines cliniques s’y étaient préparées. Elles sont
longtemps restées vides et désœuvrées. Aux Etats-Unis, cela se
traduit maintenant par des licenciements du personnel hospitalier
avec un effondrement du système de soins dans certaines villes.
En France, l’épidémie est terminée
La deuxième vague, c’est aujourd’hui la dégradation de l’état de
santé de ceux qui n’ont pas été suivis. Certains tenteront
d’expliquer que c’est à cause de l’épidémie, alors qu’elle résulte
essentiellement du confinement généralisé et de l’atmosphère de
panique qui lui est associée.
Concernant les EHPAD, qui sont les premières cibles de cette
épidémie, on peut déplorer aujourd’hui l’extrême frilosité des
directeurs d’EHAPD alors qu’on a passé la vague à 98 % ; le virus
ne circule plus. Je crois qu’il fallait oser prendre plus de
décisions pour permettre aux plus âgés de vivre plus sereinement
leurs derniers moments. On peut aussi déplorer aujourd’hui
l’extrême frilosité de certains directeurs d’établissements alors
qu’on a passé la vague et que le virus ne tue quasiment plus. En
l’absence de lien social, de très nombreux patients évoluent
beaucoup plus vite vers la démence. La neuro-dégénérescence a été
accélérée à cause de la rupture du lien social.
JIM.fr : Vous nous dites que le virus ne circule plus. Où en est
l’épidémie selon vous en France ? Comment interprétez-vous la
récente flambée de cas en Iran ? Pensez-vous que l’on pourrait, en
France, décider plus rapidement de mesures d’assouplissement des
mesures de lutte contre l’épidémie notamment dans les écoles
?
Pr Jean-François Toussaint - Le 12 juin 2020 la France a
connu un total de 27 décès hospitaliers, soit une réduction de 96%
par rapport au maximum de 605 enregistré le 6 avril. La mortalité
en maison de retraite suit le même rythme. Pour les territoires et
départements d’outre-mer, la mortalité quotidienne est, en moyenne,
inférieure à un décès depuis février. Hors Mayotte, qui compte 28
décès après 3 mois d’épidémie, on peut donc dire que cette phase
épidémique est quasiment terminée sur l’ensemble du
territoire.
Les données Iraniennes ne plaident pas en faveur d’une deuxième
vague. On constate que le virus est toujours en circulation, comme
en témoigne une hausse du nombre de contaminations liée là aussi à
un plus grand nombre de tests réalisés, mais le nombre de décès
continue de baisser. Il est à ce jour de 78 (pour un pays de plus
de 82 millions d’habitants) soit une diminution de 50% par rapport
au maximum enregistré le 4 avril. Avec une décrue plus lente, la
courbe des décès en Iran se rapproche de celle constatée dans tous
les autres pays, écartant l’idée d’une deuxième vague
spécifiquement iranienne. Pour revenir à la France, il est étrange
qu’il ait fallu attendre le 5 juin pour que le président du conseil
scientifique évoque enfin la possibilité d’un assouplissement dans
les écoles compte tenu du très faible risque dans cette tranche
d’âge, validé par les constats de l’AFPA (Association Française de
Pédiatrie Ambulatoire) et de la SF de Pédiatrie.
JIM.fr : Quel a été selon vous l’impact réel du confinement sur
la mortalité ? Pourquoi est-ce si difficile de le mesurer ? Que
pensez-vous du projet Oxford, qu’en attendez-vous ?
Pr Jean-François Toussaint -Aujourd’hui que nous dit le
Conseil scientifique ? « Quelle que soit la situation, la France ne
reconfinera pas ! » C’est un désaveu terrible, la plus cinglante
démonstration de son inefficacité. Alors qu’on ne dispose de rien
en dehors de quelques rares méthodes non médicamenteuses, comment
accepter de se passer d’un tel outil, s’il avait été aussi utile
que le prétendent ses partisans ? C’est évidemment la constatation
des limites du confinement aveugle et de ses conséquences terribles
sur le plan social, économique et sanitaire qui aboutit à cette
décision. Le confinement aveugle est la saignée du XXIème siècle,
il faut à tout prix éviter qu’un quelconque gouvernement ne
reprenne un jour une telle décision. D’autant que
l’instrumentalisation de la pandémie avec des confinements
généralisés pour la moitié de l’humanité n’aura abouti qu’à
renforcer les régimes autoritaires (certains viennent ainsi de
prolonger jusqu’au 10 juillet cette mesure fort utile au contrôle
de leur population alors que la mortalité du pays y est inférieure
à deux décès quotidiens depuis plus d’un mois) et à suspendre les
campagnes de prévention des grandes maladies mortelles. En France,
les simulations estimant que 60 000 vies ont été sauvées sont de
pure fantaisie, comme notre équipe l’a démontré dans vos
colonnes.
Aucun effet du confinement sur la mortalité selon une équipe d’Oxford
Je pense qu’il sera difficile, voire impossible de mesurer les effets positifs du confinement, notamment parce qu’il n’existe nulle part de groupe contrôle (ce que l’on exige pourtant de toute intervention thérapeutique dans un arsenal « moderne »). Une équipe de l’Université d’Oxford fait un travail remarquable, qui consiste à consigner l’ensemble des mesures politiques prises pays par pays et le jour de leur adoption par rapport à l’évolution de l’épidémie. Elle met en regard les données de contaminations et de mortalité. À ce jour, cette équipe rejoint nos constats et valide nos hypothèses : elle ne constate aucun effet après l’instauration du confinement généralisé et aucun impact lié à son intensité.Les comparaisons entre pays sont parfaitement légitimes, à condition bien entendu de tenir compte des différences et des gradients (démographiques, géographiques, environnementaux …) qui les séparent. Notre équipe évalue pays par pays la force des liens entre la mortalité et les paramètres pandémiques (début de la phase explosive, date du sommet de la vague, environnement avant, pendant et après le pic, pollution, pyramide des âges & structuration, réponses politiques…). Nous constatons ainsi une forte corrélation entre la stagnation de l’espérance de vie (voire son recul, comme c’est déjà le cas aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne en raison de l’obésité) et les plus forts taux de mortalité par Covid. On constate aussi que dans les pays où la progression de l’espérance de vie a été la plus importante, certains pays d’Afrique par exemple, la mortalité est très faible. On remarque également un lien très fort entre soutien économique et mortalité. C’est évidemment l’inverse qu’il faut alors comprendre : dans la succession chronologique, plus le nombre de morts s’est avéré élevé dans les états qui avaient choisi de confiner, plus il leur a fallu soutenir leur économie. C’est l’un des aspects du coût faramineux de ce confinement dont les financements des programmes de recherche, des institutions culturelles ou des systèmes de soins vont pâtir, au même titre que l’ensemble de l’économie.
On constate enfin une réelle influence de la température. Ces comparaisons sont remarquables, parce qu’elles décrivent partout la même chose, avec des hauteurs différentes. Le tracé est chaque fois similaire : une montée en un temps, une descente en deux temps. Ceci caractérise la phase visible que nous avons connue mais il faut aussi concevoir qu’elle a été précédée d’une phase de circulation virale non détectée de plusieurs mois, qui a préparé l’explosion du printemps.
JIM.fr : Dans ces comparaisons internationales, que vous
inspirent les cas particuliers de la Suède, la Grèce ou la
Grande-Bretagne ?
Pr Jean-François Toussaint - Le cas de la Suède est très
intéressant. Ce pays a choisi de ne fonder ses décisions que sur
des faits établis. Les Suédois n’avaient, comme nous, aucune preuve
initiale de l’efficacité du confinement. En leur absence, ils n’ont
pas confiné leur population entière mais pris des mesures ciblées.
Aujourd’hui, le pays connaît une mortalité qui atteint six fois le
taux des autres pays scandinaves, mais dans certaines régions
seulement, notamment autour de Stockholm avec une situation
semblable à la nôtre : la mortalité y concerne d’abord les plus
âgés, dans les maisons de retraite, dont les autorités ont très tôt
reconnu que ce secteur avait, comme chez nous, échappé à leur
contrôle. Le recul économique, donc les marges dont il disposera au
décours de la crise, y est en revanche dix fois inférieur au nôtre.
Enfin les jeunes Suédois, qui ont continué de s’aimer au printemps
2020, n’auront pas sur la tête l’immense épée de Damoclès que nos
générations laissent planer sur la jeunesse de France. On ne mesure
pas encore ce que ces impacts psycho-politiques, au sens que leur
donne Peter Sloterdijk, vont entrainer mais rien ne nous assure
qu’ils soient négligeables.
La pandémie s’est répandue à l’automne 2019
Concernant la Grèce, [où le nombre de décès est resté très
faible et le confinement très strict, ndlr] il faut garder à
l’esprit l’importance du climat (vents, température…) sur un
habitat en partie fragmenté (îles). Enfin le Royaume-Uni devrait
probablement comptabiliser le nombre de décès qu’elle devait
atteindre : comme en Suède, c’est presque l’histoire naturelle de
la maladie qui s’y est déroulé puisque le virus a pu circuler dans
sa phase la plus active pendant les trois premières semaines. Après
six mois de diffusion, le confinement n’a pu avoir qu’un impact
très restreint quand il commence début mars (Italie) ou mi-mars
(France), mais le peu d’effets qu’il aurait pu entrainer a
totalement disparu lorsqu’il est activé à la fin de ce mois.
Les cas du Japon et des pays d’Asie comme la Corée du Sud, Taïwan
ou Hong Kong sont également à remarquer. Ce sont des pays qui ont
eu l’expérience du SRAS en 2003 et qui ont su mettre à profit les
leçons de cette épidémie. Ils ont eu la bonne réaction en recourant
à une politique de dépistage intense et précoce, fondée sur les
tests qu’ils ont rapidement mis au point (comme l’Allemagne) et à
un confinement uniquement sélectif.
JIM.fr : Quel est votre sentiment concernant le risque d’une
deuxième vague ?
Pr Jean-François Toussaint - Pour analyser le risque d’une
deuxième vague, il est d’abord important de bien observer
l’historique de l’épidémie. A cet égard, l’analyse des
bornes-relais des portables de 60 000 habitants de Wuhan dans les
semaines qui précédent leur confinement est importante à rappeler.
On constate des déplacements dans le monde entier, Paris, Rome,
Téhéran, sur la côte est des USA, au Pérou ou à Sao Paulo : les
métropoles économiques et les destinations touristiques y sont
toutes représentées. En Amérique du Sud, l’attention est attirée
par un point plus surprenant car les régions intertropicales sont
très peu concernées par cette épidémie. Or dans cette zone, un
point apparaît qui n’aurait pas dû l’être, c’est Manaus que les
habitants du Hubei ont assidument fréquenté. Le tourisme comme
vecteur pandémique… des effets secondaires par forcément bienvenus
que les travaux d’Alain-Jacques Valleron et son équipe avaient déjà
clairement démontré. Il sera alors très utile d’étudier le passage
de l’onde épidémique d’est en ouest, en se concentrant sur les flux
aériens.
Ce que l’on comprend mieux maintenant c’est aussi que la pandémie
s’est répandue dès l’automne 2019. A cet égard il sera nécessaire
de mieux investiguer ce qui s’est passé autour des championnats du
monde militaires qui se sont déroulés à Wuhan du 18 au 27 octobre
2019. Des athlètes français, suisses, belges, luxembourgeois et
suédois ont à leur retour présenté des syndromes grippaux sévères
semblables à ceux que connaitront les européens en mars. Nous
espérons pouvoir mener ce type d’étude dans un avenir proche.
Concernant la deuxième vague, il y a maintenant quatre scénarios
possibles. Leur prévision reste difficile mais l’évolution de la
pandémie viendra indiquer progressivement les probabilités les plus
fortes. Il y a d’abord la disparition spontanée du virus, comme le
premier SRAS en 2003. Le maintien à un haut niveau de circulation
définit le second mais il semble exclu au regard de l’arrêt de
l’épidémie en Nouvelle Zélande et en Australie. Le troisième est le
maintien d’une faible contamination, avec quelques clusters
sporadiques, ce qui n’est pas totalement exclu. Et enfin, il y a
l’hypothèse de la saisonnalité. Sur ce sujet, il sera très
important d’observer ce qui se passe dans l’hémisphère sud. On
constate que la phase d’expansion y dure plus longtemps. L’Equateur
a connu son pic début mai tandis que l’épidémie a cessé au Paraguay
et en Uruguay sans y avoir atteint un impact important. Si une
baisse s’amorce dans les autres pays, comme on commence à
l’entrevoir, si l’Amérique du Sud passe sur l’autre versant durant
l’hiver austral, alors il n’y aura probablement pas de
saisonnalité. Les yeux des épidémiologistes sont désormais rivés
sur ce continent.
Propos recueillis par Aurélie Haroche, les intertitres sont de la rédaction.