Corticothérapie dans les affections graves : et maintenant Recovery…
Alors que la bien-nommée et la bien conduite étude britannique
Recovery fait état d’une importante réduction de la
mortalité des patients Covid-19+ graves, sous dexaméthasone, et que
sous le manteau, beaucoup de services de réanimation avaient
dégainé les corticoïdes précocement afin de prévenir et de réduire
l’orage cytokinique du 7ème jour, revenons sur une des
plus fameux serpents de mer de ce dernier demi-siècle : la
corticothérapie à toutes les sauces et tout particulièrement quand
rien ne va plus ou presque. Oui ou non ?
Battre sa coulpe ?
En début d’année, la cause semblait entendue pour passer les
corticoïdes aux oubliettes de l’histoire de la médecine et le JIM
publiait « Pneumonies virales : attention aux corticoïdes ».
Ma traduction de l’article de Gotlieb et al (1). commençait
ainsi : « En ces temps d’inquiétude mondiale en raison du
nouveau coronavirus chinois et de sa déferlante attendue,
fourbissons nos protocoles et tordons éventuellement le cou à
quelques habitudes thérapeutiques. Il a été démontré que les
corticostéroïdes réduisent la morbidité et la mortalité dans les
cas de pneumonie bactérienne d'origine communautaire, mais il n'est
pas certain qu'un avantage similaire soit conféré à la pneumonie
grippale ». Afin de répondre à cette question, les auteurs -
qui doivent avaler leur sombrero ces jours-ci - avaient effectué
des recherches dans PubMed, EMBASE, MEDLINE, le Cochrane Central
Register of Controlled Trials et les bases de données du Web
of Science pour des études publiées entre 1946 et janvier 2019,
sans limitation de type ou de langue de publication.
Il ressortait alors de 10 études (5 études rétrospectives et 5
études prospectives) englobant 6 548 patients (2 564 patients avec
corticostéroïdes et 3 984 sans) que dans l'ensemble, l'utilisation
de corticostéroïdes avait été associée à une augmentation de la
mortalité, à un taux plus élevé d'infections secondaires et à une
durée de séjour plus longue dans les unités de soins intensifs.
Toutes les études avaient été jugées de grande qualité (définie
comme un score > 6 sur l'échelle de Newcastle-Ottawa). Et de
conclure que ces résultats défavorables dans le groupe
corticostéroïdes pouvaient être dus à une immunosuppression
entraînant une virémie prolongée, à des taux accrus d'infections
secondaires (y compris la pneumonie bactérienne) ou à des effets
indésirables liés aux corticostéroïdes (par exemple, hyperglycémie,
rétention de liquide, dysrythmies).
Or avec le SARS-CoV-2, la donne change ! Il faut désormais
provoquer, chez les patients graves, une immunodépression afin de
contrer l’orage immunologique du 7ème jour.
De l’inflammation bienveillante à l’inflammation
malveillante
Lors d’une agression tissulaire, la réponse inflammatoire est
le premier mécanisme de défense et il est le plus souvent
bienveillant, strictement contrôlé par de multiples systèmes
régulateurs pro et anti-inflammatoires (cytokines, complément,
coagulation, prostaglandine...). Mais parfois, l’inflammation
s’emballe et tue, comme dans le cas du SDRA, du choc septique et
désormais de la Covid-19. Il convient alors de contrer, en ciblant
diverses étapes de la cascade de l’inflammation. L’action
anti-inflammatoire des corticoïdes est liée à l’inhibition de la
transcription de gènes codant pour des cytokines
pro-inflammatoires, ainsi qu’à une stimulation de la synthèse de
facteurs anti-inflammatoires.
Revenons avec humilité sur quelques célèbres allers et retours
thérapeutiques qui démontrent que ce ne sont pas les girouettes qui
changent d’avis, mais que c’est bien le vent qui tourne et les fait
tourner…
La saga des corticoïdes et du choc septique
La mortalité du choc septique reste élevée et avoisine
aujourd’hui encore 30 à 50 % due aux défaillances viscérales qui
l’accompagnent ou lui succèdent. La cascade de l’inflammation
conduit à une réaction générale et sévère avec vasodilatation.
L’activation des cellules recrutées entraîne la production de
chémokines et de cytokines comme l’IL-1, l’IL-6, le TNF,
l’interféron et le MIF qui amplifient la réponse inflammatoire,
avec atteinte cytotoxique directe par les agents infectieux ou les
produits dérivés de l’infection.
Le recours aux corticoïdes lors du choc septique repose donc
sur leur double action : anti-inflammatoire et substitutive de
l’insuffisance surrénalienne. Les premières évaluations de la
corticothérapie dans le sepsis sévère ont été menées avec de fortes
doses et une méta-analyse a conclu non seulement à l’absence
d’effet favorable sur la morbi-mortalité, mais surtout à une
augmentation du nombre de décès secondaires aux infections
(2).
Puis, sachant que les glucocorticoïdes peuvent expérimentalement
améliorer la réponse vasculaire aux catécholamines endogènes,
d’autre approches thérapeutiques ont été proposées et dès 2002,
toutes les études randomisées utilisaient de faibles doses de
corticoïdes (50 mg toutes les 6 heures) et démontraient un bénéfice
en terme de mortalité à 28 jours d’autant plus que les patients
étaient non répondeurs au test au Synacthène ou étaient en
insuffisance surrénale totale.
L’étude CORTICUS (3) qui manquait de puissance (499 patients
en choc septique modéré sur les 1 500 initialement prévus) avait
démonté une réduction de la durée du choc des défaillances
d’organes, mais sans gain de mortalité.
Depuis une quinzaine d’année, les recommandations vont dans le sens
de l’administration de faibles doses d’hydrocortisone (50 mg toutes
les 6 heures pendant 7 jours avec éventuelle décroissance
progressive) chez les adultes en choc septique grave répondant mal
au remplissage vasculaire et aux catécholamines dans les 24
premières heures. Le test au Synacthène resterait le meilleur test
diagnostique de l’insuffisance surrénale, le dosage du cortisol
libre ne présentant pas d’intérêt diagnostique.
La saga des corticoïdes et du SDRA
Au cœur de la Covid-19, le Syndrome de Détresse Respiratoire Aiguë
(SDRA) affecte 7 à 9 % des patients ventilés (hors Covid-19) avec
une mortalité de 30 à 50 %. Il associe une insuffisance
respiratoire aiguë avec infiltrats pulmonaires bilatéraux à la
radiographie thoracique de face, un rapport PaO2/FiO2 inférieur à
200 et l’exclusion d’un œdème cardiogénique. À l’origine du SDRA,
les lésions alvéolaires résultent d’une inflammation de la membrane
alvéolo-capillaire. Après la phase aiguë exsudative (J1 à J7) vient
la phase fibro-proliférative (de J7 à quelques semaines) qui
correspond à la réparation physiologique du parenchyme pulmonaire.
Mais l’enfer étant pavé de bonnes intentions, il arrive souvent que
l’emballement de la réponse inflammatoire aille jusqu’à la fibrose
interstitielle et endo-alvéolaire, d’où le recours aux
corticoïdes.
Les premiers essais en phase aiguë exsudative avec des fortes
doses (4) sur une courte période (30
mg.kg-1 de méthylprednisone pendant 48 h)
ont conclu à une absence d’amélioration de la survie et à un
accroissement du risque infectieux.
Puis, la corticothérapie prolongée à faible dose, lors de la phase
subaiguë fibro-proliférative s’est lentement imposée avec, en 1998,
une petite étude contrôlée randomisée (2
mg.kg-1.j-1 de méthylprednisone à partir de
J7 d’évolution du SDRA avec décroissance sur 30 jours) qui
concluait à une augmentation de la survie sans augmentation du
risque infectieux. À tel point que depuis une vingtaine d’année, la
Société de Réanimation en Langue Française via la Conférence de
Consensus sur l’utilisation des corticoïdes dans le SDRA et le choc
septique, recommande l’utilisation des corticoïdes à 2
mg.kg-1.j-1 de methylprednisone (en 4
injections, pendant 30 jours, avec décroissance progressive) à
partir de 7 jours d’évolution d’un SDRA sans amélioration en
l’absence de processus infectieux en cours.
Merci pour cette mise au point documentée. Merci de ne pas entrer dans le détail du bras DXM dans l'éssai RECOVERY, avant publication revue, aprés annonce sur site et dans la presse, des résultats encourageants dans les formes sévères en "2ième mi-temps".
Une référence pourrait être jointe , issue de .... Edimbourg Russell CD, Millar JE, Baillie JK. Clinical evidence does not support corticosteroid treatment for 2019-nCoV lung injury. Lancet. 2020;395(10223):473-475 Histoire d'ajouter du Trouble aux flous.
Force est de reconnaitre que la gestion de cet randomisation nationale, "agile", pragmatique avec des intervenants réactifs, fait probablement œuvre utile
Tous pourront en dire autant en France ? Il restera bien sur minimiser en disant:"on savait bien, tout le monde l'utilisait".
Après un développement sur les facteurs de risque de syndrome de détresse respiratoire aigue (SDRA) parmi une cohorte de 201 patients atteints de Covid 19, les auteurs étudient les effets d'un traitement par méthylprédnisolone chez 50 des 84 patients ayant un SDRA : par rapport au groupe non traité, la mortalité est de 0,38 avec un IC compris entre 0,20 et 0,72 p = 0,03. Ils concluent à la nécessité d'un essai contrôlé randomisé pour confirmer cette baisse de mortalité. C'est maintenant chose faite avec la déxaméthasone.
Dr Alain Siary
Méthode de Walton Lillehei
Le 19 juin 2020
Tu as du connaître, quand tu étais le chef des urgences de Bellepierre, le traitement des chocs septiques par une seule dose massive de corticoïdes.
En 1967-1968, devant les chocs septiques d'origine urinaire, il était courant que je prescrive une seule dose de 3 grammes d'hémisuccinate d'hydrocortisone (selon Lillehei).
Je me souviens pas d'un échec sur une fièvre à 40 avec hypotension: quatre heures plus tard la température était à 36 et la TA rétablie. Ce qui permettait d'envoyer le malade au service de radiologie de Lagourgue.
Lillehei avait fait cette découverte, jeune chirurgien à Minneapolis, à la garde chirurgicale dans les chocs septiques compliquant les avortements clandestins.